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Source: Ashoka

« L’accès à une information de qualité est un sujet de santé publique » - Tribune d'Elsa Da Costa, La Croix

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53 % des Français ressentent une fatigue informationnelle les conduisant à réduire leur consommation d’information car perçue comme anxiogène, violente dans les débats et sans garantie d’authenticité. Et, corrélation inquiétante, ces fatigués de l’information souffrent davantage que d’autres de syndromes dépressifs, d’addiction, d’angoisse.

L’OMS définit la santé publique comme la science et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et d’améliorer la santé physique et mentale à un niveau individuel et collectif. Alors comment renforcer le système immunitaire de l’information en France ? C’est à cette question centrale que les états généraux de l’information vont répondre en juin prochain.

Cette crise sanitaire de l’information s’alourdit d’une autre liste de symptômes comme la fracture démocratique (64 % des Français estiment que la démocratie fonctionne mal), burn-out citoyen avec une abstention électorale de plus en plus inquiétante (28 % au second tour de l’élection présidentielle de 2022), diabète de l’infox (18 % des 18-24 pensent que la Terre est plate), hémorragie de la confiance (56 % pensent que les journalistes ne sont pas indépendants des groupes ou des pressions du pouvoir), anémie journalistique (40 % des journalistes quittent le métier après sept ans), arthrite du modèle économique.

Mutations de l’écosystème médiatique

Malgré l’accélération folle des mutations technologiques de l’écosystème médiatique, le cadre législatif du paysage informationnel français n’a quasiment pas évolué depuis vingt ans. L’information journalistique n’est pas un bien comme les autres. Ce n’est pas un produit qui se vend et s’achète au gré des cours d’un marché plus ou moins favorable aux détenteurs de grands capitaux et/ou de leurs desseins idéologiques.

Il ne peut fonctionner ainsi, car la loi du mieux-disant financier l’emportera dans la plupart des cas. Puis comme à chaque acquisition, le démantèlement de l’appareil industriel s’opère, en réduisant le nombre de journalistes, favorisant la technologie pour produire en quantité sans foi ni encore de loi, diminuant le nombre de jours d’enquête, attaquant souvent le contenu, au mieux instillant une confusion des genres entre éditorialisation et papier d’enquête débouchant sur une plateau-isation permanente, voire un infotainment de chaque instant entretenu par une promotion sur les réseaux sociaux.

L’information journalistique est un (bien) commun. Et comme toute ressource commune, elle doit être régie par une communauté d’usagers qui en fixe les règles de bonne gestion et de gouvernance pour non seulement la protéger, mais aussi assurer le développement de la société.

Renforcer le gendarme des médias

Considérant que la télévision trône au classement des outils privilégiés pour s’informer, la nécessité de (re) cadrer les devoirs liés à l’obtention des canaux s’avère fondamentale aussi bien à l’antenne qu’en ligne. Muscler l’immunité des usagers de l’information passe indéniablement par le renfort du pouvoir du gendarme des médias aussi bien dans l’attribution des droits d’émettre, leur renouvellement, le suivi du respect des obligations des médias.

Ensuite, un consensus fort ressort des différentes auditions et consultations citoyennes : la nécessité d’une politique publique puissante d’éducation aux médias et à l’esprit critique dès le plus jeune âge et tout au long de la vie. Son déploiement est de la responsabilité de l’État, son contenu à construire avec parties prenantes médias, associations, citoyens, éducation nationale, et sa mesure d’impact régulière est indispensable.

Pour cela, il est structurant qu’elle devienne une matière à part entière enseignée au-delà des volumes horaires de l’enseignement moral et civique. Gestion de l’identité numérique, prévention des addictions aux réseaux sociaux, cyberharcèlement, fonctionnement des algorithmes, distinction entre vrai et faux font figure de réflexe. L’information pourrait être enseignée par les acteurs de terrain comme les associations et les professeurs des écoles appuyés par le Clemi, mais aussi par les médias eux-mêmes et financés par l’ensemble des acteurs de l’économie. Une grande cause nationale, en somme.

La formation des journalistes

Tout comme accélérer la formation des journalistes aux enjeux du XXIe siècle, notamment l’intelligence artificielle, tout en renforçant les socles de connaissance liés à l’économie et à la science. Par ailleurs, le succès de l’émission « C ce soir » prouve qu’un débat respectueux, maîtrisé, encadré permet une meilleure compréhension des sujets pour le plus grand nombre. À cet effet, l’éthique de la discussion doit compléter les apports théoriques des aspirants journalistes présentateurs, tout comme être régulièrement mise à jour pour les « tauliers » des débats.

Ici, quelques pistes des travaux en cours des états généraux de l’information, qui rendront leur copie en juin. Prendre soin du paysage informationnel français passe par une prise au sérieux du diagnostic pathologique pour mettre en place un traitement surpuissant à destination des usagers de l’information. L’expression de leur citoyenneté en dépend autant que celle de la protection de notre démocratie.

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