Jérôme Deconinck
Ashoka Fellow depuis 2008   |   France

Jérôme Deconinck

Terre de Liens
Face à l'industrialisation croissante de l'agriculture en France, Jérôme Deconinck a créé la première fiducie foncière agricole afin de mobiliser la population française pour préserver son…
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IDÉE

Jérôme Deconinck a participé à la création de Terre de Liens, qui mobilise l’investissement solidaire et le don pour permettre l’installation d’agriculteurs créant des fermes biologiques et freiner la désertification qui menace de vastes zones rurales. Le but : maintenir une agriculture à taille humaine pour redynamiser la vie sociale des zones rurales et développer la consommation de produits biologiques.

 

IMPACT

Créé en 2003, le réseau Terre de Liens compte en 2017 19 associations régionales qui maillent le territoire et une association nationale. Ce sont près de 300 fermier(e)s installé(e)s sur des fermes Terre de Liens, 146 fermes acquises (3 360 ha dédiés à l’agriculture biologique), 1 600 candidat(e)s à l’installation agricole conseillé(e)s en 2016, et 4 500 adhérents. La Foncière Terre de Liens créée en 2007 compte 12 298 actionnaires et solidaires et un capital de près de 60 millions d’euros en 2016. En 2013, s’appuyant sur les dons et les legs, la Fondation Terre de Liens est créée et reconnue d’utilité publique par le Conseil d’État. Ce sont maintenant plus de 6 500 donateurs qui soutiennent cette jeune fondation. Depuis 2003 ce sont plus de 13 900 citoyens qui ont été mobilisés dans le mouvement et plus de 64 millions d’euros pour des acquisitions d’exploitations.

 

QUI EST-IL ?

Originaire de Lyon, ingénieur agronome de formation, il s’engage dans les mouvements promouvant les dynamiques rurales. Il prend alors conscience que le cœur du problème est l’accès au foncier et s’intéresse à l’agriculture biologique dont il étudie les différents modèles.

This description of Jérôme Deconinck's work was prepared when Jérôme Deconinck was elected to the Ashoka Fellowship in 2008.

Introduction

Face à l'industrialisation croissante de l'agriculture en France, Jérôme Deconinck a créé la première fiducie foncière agricole afin de mobiliser la population française pour préserver son patrimoine agricole et promouvoir le développement d'une culture biologique à petite échelle plus unifiée. Il démontre qu'une autre forme de développement rural, qui préserve les paysages, assure la protection de l'environnement et maintient des activités économiques et sociales, est possible.

L'idée nouvelle

La France continue de perdre en moyenne 66 000 hectares de terres agricoles chaque année, le nombre d'exploitations ayant déjà été divisé par deux au cours des vingt dernières années. Conscient des énormes implications sociales et environnementales de ces changements, Jérôme a créé la première fiducie foncière agricole de France, démontrant ainsi qu'une autre forme de développement rural est possible. En mobilisant les citoyens pour qu'ils investissent dans l'acquisition de terres agricoles, il s'efforce de protéger de vastes territoires de la spéculation foncière généralisée provoquée par l'urbanisation et l'industrialisation croissante de l'agriculture. Enfin, Jérôme combine son travail avec les petits agriculteurs avec des efforts de plaidoyer législatif, incitant le gouvernement à adopter des mesures et des réformes qui permettront de mieux démocratiser l'accès aux terres agricoles. La fiducie foncière de Jérôme vise à aider les petits agriculteurs à créer leurs propres entreprises biologiques ou respectueuses de l'environnement. Grâce à sa fiducie foncière, il renverse radicalement les tendances qui affectent les zones rurales en France, préserve le rôle des agriculteurs dans les villages ruraux, qui est en train de diminuer, et donne une voix commune aux mouvements de base qui travaillent sur le terrain. Alors que les efforts précédents pour développer l'agriculture biologique reposaient sur une approche combative, le projet de fiducie foncière de Jérôme démontre que l'agriculture biologique peut coexister avec son homologue industrielle. À terme, il s'agit pour lui de rétablir le lien entre la population française et ses traditions agricoles ancestrales, en lui permettant de s'approprier son patrimoine commun.

Le problème

Au cours des dernières décennies, l'urbanisation et l'industrialisation ont entraîné une modification radicale du paysage français, autrefois dominé par l'agriculture. Depuis 1970, plus de 170 hectares de terres agricoles disparaissent chaque jour au profit d'autres utilisations, notamment l'urbanisation, l'industrialisation et les politiques d'aménagement du territoire. Cette évolution a entraîné une augmentation rapide de la valeur des terres agricoles ; dans la région française de Picardie, par exemple, la valeur des terres agricoles a quintuplé au cours des cinq dernières années. En conséquence, les terres agricoles sont actuellement concentrées entre les mains des quelques grandes exploitations industrielles qui peuvent encore se permettre de les posséder. Parmi les petits propriétaires qui ont réussi à conserver leurs terres, la plupart sont des agriculteurs âgés qui attendent que leur propriété soit rezonée pour pouvoir la vendre ; en effet, aujourd'hui, 85 % des terres appartiennent à des agriculteurs âgés de cinquante-cinq ans ou plus. Par conséquent, il est de plus en plus difficile pour les gens d'acquérir des terres et de créer leurs propres entreprises agricoles.

Pour tenter de protéger les agriculteurs de cette spéculation, le gouvernement a instauré des règles strictes de contrôle des loyers des territoires ruraux, maintenant un prix bas déconnecté de la valeur réelle des terres. Le gouvernement a, par exemple, contribué au lancement d'un organisme public-privé appelé SAFER, qui vise à acheter des terres afin de les protéger de la spéculation. Pourtant, le système est entaché de corruption et d'objectifs mal alignés : Les représentants du secteur privé de la SAFER appartiennent à des lobbies agro-industriels qui protègent les intérêts des grandes exploitations commerciales. En conséquence, il est beaucoup plus rentable pour les petits agriculteurs de louer leurs terres plutôt que de les cultiver eux-mêmes, ce qui limite le rôle des agriculteurs en tant que gardiens de la terre et les soumet à un avenir incertain.

En conséquence, le nombre d'exploitations agricoles a chuté de façon spectaculaire au cours des cinquante dernières années, passant de 600 000 exploitations en 1950 à moins de 300 000 aujourd'hui. Alors que l'agriculture française se situe déjà dans le trio de tête des agricultures les plus industrialisées d'Europe, cette tendance ne peut que se poursuivre. En effet, on estime que dans les vingt prochaines années, il y aura moins de 150 000 exploitations agricoles en France, dont de plus en plus utiliseront des méthodes de production industrielles. La disparition des exploitations agricoles s'est accompagnée d'une diminution de la population rurale et de l'offre d'emplois en France. Aujourd'hui, les ruraux représentent 25 % de la population française, mais les agriculteurs, seulement 4 % de la main-d'œuvre nationale. Ces tendances ont eu des conséquences sociales dramatiques sur les zones rurales, puisque des magasins locaux, des écoles et même des hôpitaux ont été contraints de fermer leurs portes. L'impact environnemental est d'autant plus important que l'agriculture à petite échelle joue un rôle essentiel dans la préservation des paysages ruraux. De plus, on estime que les entreprises agro-industrielles produisent deux fois plus de tonnes de déchets pétroliers que les exploitations agricoles traditionnelles et émettent autant de gaz à effet de serre que l'ensemble des ménages français.

Alors que certaines politiques agricoles européennes ont rapidement réagi à des tendances similaires en encourageant le passage à une agriculture biologique à forte valeur ajoutée, le secteur français a résisté au passage à l'agriculture biologique. Seuls 2 % de l'agriculture française sont actuellement certifiés biologiques, ce qui signifie que la France importe entre 50 et 90 % des produits biologiques qu'elle consomme. Les agro-industries françaises exercent actuellement une influence démesurée sur les institutions gouvernementales, recevant la grande majorité des lourdes subventions agricoles de l'Union européenne. Pendant ce temps, les plus ardents défenseurs de l'agriculture traditionnelle sont pratiquement impuissants face aux institutions existantes ; caractérisés par leur opposition inébranlable à la mondialisation, leurs revendications irréalistes et politisées et leur refus de tout compromis, ils n'ont pas réussi à proposer une solution viable à la crise agricole d'aujourd'hui.

La stratégie

Afin de mettre fin à la spéculation sur les terres arables et d'en ouvrir la propriété au plus grand nombre, Jérôme a créé Terre de Liens, la première fiducie foncière agricole de France. En mobilisant l'épargne privée et en créant un nouveau produit financier, et bientôt en capitalisant sur les dons par l'intermédiaire d'une fondation publique, il constitue une masse critique de déposants privés prêts à investir dans l'acquisition de terres agricoles. Ce capital permet à Terre de Liens de soutenir de petits entrepreneurs agricoles désireux de créer leur ferme biologique ou respectueuse de l'environnement, en utilisant des terres qui, autrement, seraient perdues pour la spéculation et très probablement achetées par de grands agriculteurs agro-industriels. Lors de la création de la fiducie foncière en 2007, Jérôme a immédiatement compris l'importance d'encourager les investisseurs et de rendre son produit financier accessible au plus grand nombre. Grâce à un lobbying minutieux, il est parvenu à modifier la loi de finances et à obtenir un statut de déductibilité fiscale pour les investissements dans l'acquisition de terres socialement et écologiquement responsables, ce qui garantit un abattement fiscal de 25 % aux investisseurs et un rendement proche de 5 % par an sur cinq ans, à un niveau comparable à celui de la plupart des produits d'épargne. Par ailleurs, la fondation qui sera créée prochainement permettra aux propriétaires terriens retraités et responsables de protéger l'avenir de leurs exploitations biologiques en les confiant à des entrepreneurs responsables. Ce mécanisme unique dans le contexte français s'appuie sur la combinaison de plusieurs modèles mis en œuvre avec succès aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, où Jérôme a puisé une grande partie de son inspiration. Au cours des deux premières années de son projet, il a collecté plus de 700 000 euros (929 000 dollars) d'épargne et, grâce à une campagne innovante, il a récemment levé plus de 3 millions d'euros (3,9 millions de dollars) en moins de trois mois.

Au-delà de l'acquisition de terres, Jérôme considère sa fiducie foncière comme un outil essentiel pour sensibiliser le public à l'état croissant de la dépression rurale et pour mobiliser les citoyens français autour de la question de la préservation de l'agriculture, en leur donnant un moyen concret de participer à la sauvegarde des territoires ruraux français. Jérôme a mobilisé 160 investisseurs et prévoit d'en engager plus de 1 600 d'ici la fin de l'année, grâce à une campagne médiatique et à l'élargissement des canaux de distribution. Parmi ses partenaires figurent la NEF, une grande banque socialement responsable, et BIOCOOP, la plus grande chaîne de distribution de produits biologiques avec 300 magasins en France, qui assurera la promotion de son produit à l'automne dès qu'il aura obtenu l'agrément de l'autorité des marchés financiers. Cela devrait coïncider avec l'obtention du statut de déductibilité fiscale pour sa fondation.

La décision de Jérôme de créer une fiducie foncière est née de plusieurs années de travail sur le terrain pour soutenir les entrepreneurs agricoles dans le processus de création de leurs exploitations biologiques et/ou écologiques. Au cours de ces années, il s'est rendu compte que le principal goulot d'étranglement dans l'entrepreneuriat rural était la difficulté à obtenir des terres. Terre de Liens a mis en place un réseau d'antennes locales dans les régions agricoles françaises, qui informent et aident les entrepreneurs potentiels à élaborer leur plan d'affaires, à acquérir des terres et à obtenir la certification biologique. En 2007, elles ont accompagné près de 200 porteurs de projets, dans 80 % des cas dès les premières étapes de la conception. Les antennes locales de Terre de Liens jouent également un rôle actif dans les écoles d'agriculture à travers la France, où elles informent et sensibilisent les élèves à la création d'entreprise et à l'agriculture durable, éléments généralement absents des programmes scolaires. À long terme, Jérôme souhaite favoriser une évolution globale de l'enseignement agricole.

Localement, les antennes de Terre de Liens jouent également un rôle clé dans la mobilisation des réseaux de base et des organisations citoyennes (OC) pour qu'ils travaillent main dans la main à l'essor d'une nouvelle forme d'économie agricole. S'éloignant des discours traditionnels et de la dichotomie bio/industriel, Jérôme considère que les petites fermes biologiques peuvent coexister avec les grands complexes agro-industriels. En raison de l'augmentation de la demande et du développement des réseaux de distribution locaux, une exploitation biologique opérant par le biais de systèmes de distribution individuels peut être rentable avec 3 hectares, alors que les frais d'exploitation de l'agriculture agro-industrielle nécessitent un minimum de 17 hectares pour être lucratifs. La stratégie de Jérôme est donc de démontrer cette viabilité par la multiplication des projets, et d'organiser les acteurs ruraux pour qu'ils fassent pression en faveur d'une meilleure reconnaissance et d'une meilleure représentation des petits entrepreneurs agricoles. Grâce à un réseau de 400 coopératives dans toute la France, y compris des coopératives et des villages biologiques, des écoles d'agriculture et des réseaux d'agriculture soutenue par la communauté, Terre de Liens a obtenu des positions représentatives dans les gouvernements régionaux et fait évoluer les politiques régionales en faveur de la protection des terres arables et des petits exploitants agricoles.

La personne

Ingénieur agronome de formation, Jérôme s'est senti obligé de travailler en étroite collaboration avec ceux qui exploitent la terre plutôt que de travailler dans un laboratoire pour faire de la recherche. Il s'est détourné de ses études initiales pour s'engager dans les mouvements ruraux. Après quelques années de bénévolat, il a créé son propre poste de coordinateur national à RELIER, un réseau qui relie les initiatives locales pour favoriser le développement rural. Dans son travail quotidien d'accompagnement des entrepreneurs dans la création de leurs exploitations, il s'est rapidement rendu compte que le goulot d'étranglement dans le secteur était l'accès et l'acquisition des terres en raison de la spéculation pressante.

Grâce à sa connaissance approfondie du droit rural, aux leçons tirées de son travail sur le terrain et à l'expertise de son ami Kurt Wartena, un entrepreneur biologique néerlandais à la retraite, Jérôme a commencé à étudier les modèles existants dans le reste de l'Europe et dans d'autres domaines, en particulier les logements sociaux, où le modèle d'acquisition de terres d'Habitat et Humanisme lui a semblé très transférable. Il a également suivi un cours sur la collecte de fonds et la mobilisation de ressources à l'ESSEC, une grande école de commerce en France, pour finalement quitter RELIER en 2006 et créer Terre de Liens, la première fiducie foncière agricole en France, et sa fondation attenante.

Jérôme vit dans un petit village de la Drôme, loin du quartier populaire où il a grandi, dans la ville de Lyon. Jérôme dit qu'il n'aura de cesse que 35 % de l'agriculture française soit biologique et que chaque citoyen français possède une parcelle de terre agricole.