Anne Charpy
Ashoka Fellow depuis 2013   |   France

Anne Charpy

Voisin Malin
Anne Charpy a développé une approche unique pour restaurer un esprit de communauté dans les quartiers urbains les plus pauvres de France, en reliant les habitants désemparés les uns aux autres et à la…
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REDONNER CONFIANCE ET ÉNERGIE AUX HABITANTS DES QUARTIERS POPULAIRES 

 

IDÉE

1300 quartiers sont jugés prioritaires en France. Leurs habitants ont de faibles revenus, et font face à des difficultés sociales (chômage, difficulté d’accès aux soins, décrochage scolaire…). Pour répondre à l’enclavement et l’isolement des personnes qui habitent ces quartiers, Anne Charpy fait émerger un réseau d’habitants charismatiques : les Voisins Malins. Salariés et formés, ils vont à la rencontre des autres habitants chez eux, afin d’apporter une vision active et positive du quartier et des sujets qui les concernent, recréer du lien social et mobiliser les gens dans la vie locale. Ils interviennent dans le cadre de missions coconstruites avec des acteurs publics, bailleurs sociaux et entreprises sur des sujets d’intérêt général. Cela leur permet d’aborder des sujets variés : habitat, précarité énergétique, accès aux droits…

 

IMPACT

VoisinMalin est implanté dans 15 quartiers situés en Ile-de-France, à Lille et sur le Grand Lyon. 80 Voisins Malins ont été salariés en CDI (autour de 16h par mois) et 30 000 familles ont été rencontrées en 6 ans, dont 6700 en 2016. Plus de 30 partenariats ont été noués. VoisinMalin vise un développement sur le territoire national dans les 5 ans, et la poursuite de son essaimage européen à partir de Barcelone.

 

QUI EST-ELLE ?

Anne a travaillé au Chili pour l’ONG Contigo et a fondé un syndicat de microentrepreneurs. Elle a été directrice de grands projets de ville (notamment dans l’Essonne), et promeut les initiatives qui reposent sur des habitants-ressources. En 2011, elle a été accompagnée par l’incubateur Antropia pour créer VoisinMalin.

 

ACTUALITE

Découvrez ce reportage sur Anne Charpy et Voisin Malin passé sur France 3 le 03/11/2015 en cliquant ici !

This description of Anne Charpy's work was prepared when Anne Charpy was elected to the Ashoka Fellowship in 2013.

Introduction

Anne Charpy a développé une approche unique pour restaurer un esprit de communauté dans les quartiers urbains les plus pauvres de France, en reliant les habitants désemparés les uns aux autres et à la société en général. Ce faisant, Anne rétablit la confiance des habitants les uns envers les autres ainsi qu'envers les institutions publiques et privées. Grâce à ce modèle, des millions de personnes marginalisées vivant dans des zones à faibles revenus où l'analphabétisme, le chômage et la criminalité sont très répandus voient leur niveau de vie s'améliorer.

L'idée nouvelle

Afin de rompre avec le sentiment d'impuissance et de désengagement de nombreux habitants coincés dans des zones à faibles revenus, Anne a créé un cercle vertueux qui mobilise dans des chaînes de valeur économiques et sociales positives les institutions publiques et privées locales, les dirigeants locaux et les habitants pour qu'ils s'engagent dans leur communauté.

Ciblant certains quartiers urbains particulièrement marginalisés, Anne emploie des habitants, appelés « Voisins », qui ont été identifiés pour leurs compétences en matière de leadership et leur désir de s'engager dans leur communauté, pour faire du porte-à-porte afin de fournir des informations utiles et une éducation adaptée à la culture et à la langue, interroger les habitants sur leurs difficultés, obtenir un retour d'information et les mettre en contact avec les droits et les services auxquels ils peuvent prétendre. Ces populations marginalisées utilisent généralement peu les services publics et sociaux parce qu'elles ne savent pas s'y retrouver et ne font pas confiance aux institutions qui les mettent en œuvre. Afin d'obtenir la légitimité nécessaire pour transmettre ces messages et financer ses actions, Anne identifie les entreprises de services publics et les institutions gouvernementales locales qui ont un grand besoin d'entrer en contact avec les habitants exclus afin de remplir leurs missions, et les convainc d'utiliser une approche unique de porte-à-porte.

Le rôle des Voisins va bien au-delà de leurs missions pour le compte des institutions : ils sont des bâtisseurs de confiance et de ponts au sein de leur communauté. En effet, ils sont souvent les seuls points de contact des habitants avec le monde extérieur. Beaucoup d'habitants ont récemment immigré, sont au chômage, ne peuvent pas communiquer avec des voisins qui parlent des langues différentes (jusqu'à 80 dans un seul quartier), et ont peur du climat d'insécurité local, ce qui les pousse à rester toute la journée à l'intérieur de leur maison. L'intervention de Voisins leur permet de se connecter à la société, de se valoriser et leur fournit des informations utiles qu'ils peuvent facilement utiliser. De plus, les Voisins veille à les mettre en relation avec d'autres habitants et à leur offrir des opportunités de rompre leur isolement : les résidents qui le souhaitent sont invités à devenir des Amis, c'est-à-dire des bénévoles qui agissent concrètement au sein de leur communauté en organisant des événements communautaires et en participant à des activités locales.

Après seulement deux ans, le modèle d'Anne se développe rapidement, grâce à sa simplicité. Il fonctionne actuellement dans quatre des quartiers les plus marginalisés de la région parisienne, où il touche plus de 10 000 personnes. Il construit des ponts durables entre les habitants et les institutions, permettant l'émergence de leaders locaux et déclenchant une dynamique positive vers l'autonomisation des personnes.

Le problème

Le gouvernement français a désigné 700 quartiers urbains comme Zones Urbaines Sensibles (ZUS) qui représentent 4,5 millions de personnes confrontées à un large éventail de difficultés socio-économiques. Au cours des dernières décennies, ces quartiers ont attiré l'immigration en raison d'une forte densité de logements sociaux et de loyers abordables. Ils ont également été un domaine politique prioritaire avec des investissements publics massifs dans la réhabilitation des bâtiments, l'alphabétisation et les programmes d'emploi (le gouvernement a investi 23 milliards d'euros entre 2004 et 2012), ainsi que le berceau de nombreuses organisations citoyennes (CO). Cependant, depuis les années 1970 et malgré ces efforts, les deuxième et troisième générations d'immigrés luttent pour sortir de la pauvreté et de leur quartier. Une évaluation récente de la politique nationale des villes de la dernière décennie souligne qu'il n'y a pas eu de progrès social et économique significatif pour les habitants des ZUS.

L'absence de modèles ou de perspectives en dehors du quartier se traduit par un fort sentiment d'impuissance et d'exclusion de la société. En moyenne, une personne vivant dans un tel quartier ne sort de chez elle que deux fois par jour, contre quatre fois pour la moyenne nationale. Cette déresponsabilisation et cette exclusion sont liées à une profonde exclusion culturelle, sociale et économique : 36 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté (contre 12 % en moyenne dans les zones urbaines) ; l'analphabétisme atteint 14 % (contre une moyenne nationale de 8 %) ; 30 % n'ont pas accès à l'internet (contre 10 % au niveau national) ; et certains quartiers représentent plus de 80 origines et autant de langues. Ainsi, on estime que 30 % des habitants sont profondément marginalisés ; ils n'ont pas la capacité ou la confiance nécessaire pour s'informer sur les services sociaux et les services publics, pour demander des programmes spéciaux ou des tarifs qui ont été conçus pour eux, ou pour entreprendre des efforts en vue de s'engager dans la vie de la communauté.

L'échelle sociale et économique de ces quartiers est bloquée : les politiques et les programmes les plus soigneusement conçus sont inutiles s'ils n'atteignent pas les personnes auxquelles ils sont destinés. Moins il y a de personnes qui s'engagent dans la communauté, plus il est improbable que d'autres s'engagent, et moins il y a d'espoir que la situation évolue pour le mieux. Il est possible de relier les habitants aux nombreux efforts des institutions publiques, des entreprises de services publics et des organisations locales afin de déclencher un cycle vertueux de responsabilisation et une dynamique positive d'engagement communautaire. Cependant, pour être efficace, une telle approche doit prendre en considération les circonstances géographiques, sociales et culturelles des populations locales.

La stratégie

Anne a ciblé certains des quartiers urbains les plus pauvres de France pour piloter et démontrer l'impact de sa chaîne de valeur socio-économique positive. Elle a donc mobilisé efficacement les ressources des institutions publiques locales et des entreprises de services publics, qui lui ont confié un large éventail de missions pour que les Voisins fassent un premier pas dans les maisons des habitants. Par exemple, ils ont mené des campagnes d'information sur la potabilité de l'eau du robinet dans des quartiers où jusqu'à 30 % des habitants venaient de contextes où l'eau en bouteille était la seule option sûre ; ils ont informé les habitants sur les nouveaux plans de transport et les prix réduits des transports ; ils les ont éduqués sur l'élimination sélective des déchets ; ils les ont interrogés sur les problèmes qu'ils rencontraient dans leurs projets d'habitation ; etc. Aujourd'hui, l'organisation d'Anne, VoisinMalin, emploie 10 Voisins à temps partiel dans chacune des quatre zones urbaines où elle opère, avec l'objectif de toucher 10 000 habitants par an dans chacune d'entre elles, soit 80 % de la population locale. Ces Voisins réussissent à mettre les habitants en contact avec des informations et des services, mais aussi avec d'autres habitants qui partagent la même langue ou simplement le même étage. Ils ont également commencé à recruter une armée de bénévoles, les Amis, qui jouent désormais un rôle de premier plan dans l'organisation d'événements communautaires et participent activement à la vie de la communauté.

Anne veille à construire une présence forte et durable dans chaque communauté où elle intervient. Pour ce faire, elle recrute des responsables locaux qui gèrent les relations avec les partenaires et supervisent le travail des Voisins. Anne inscrit également la dynamique au sein de la communauté grâce à un événement annuel unique dans chaque région, qui rassemble les élus locaux, les représentants des services publics, les Voisins, les Amis et les habitants. Pendant une journée chaque année, toutes ces parties prenantes font l'expérience d'une conversation facilitée unique et sont traitées comme des pairs, alors qu'elles ne se seraient jamais rencontrées autrement. Cela crée une nouvelle situation de responsabilité et de dialogue, change radicalement leur point de vue les uns sur les autres et les incite à continuer à défendre le travail d'Anne.

La stratégie d'expansion d'Anne repose sur une approche partenariale forte. Elle s'appuie sur les besoins et les défis des entreprises et des administrations pour entrer dans un quartier urbain soigneusement sélectionné, recruter des voisins et explorer les questions sociales et économiques de la région. Cela lui permet de démontrer l'impact de son approche et de recruter des champions institutionnels pour son travail. Ces champions sont encouragés à la présenter à leurs collègues et à leurs pairs dans d'autres quartiers, qui deviennent à leur tour des champions et permettent à Anne de constituer un premier portefeuille de missions pour convaincre le prochain gouvernement local de soutenir le lancement de son organisation et le recrutement de Voisins locaux. Forte de ces preuves, Anne est maintenant prête à accélérer sa propagation. Elle identifie des entreprises nationales de services publics présentes dans de nombreuses ZUS en France et leur propose de travailler avec les Voisins dans plusieurs villes à la fois.

La personne

Aînée de sept enfants, Anne a très tôt fait preuve de créativité, d'empathie et de qualités de leadership dans sa vie quotidienne. Après des études de gestion, elle s'est installée au Chili avec son mari, où elle a travaillé avec une organisation communautaire qui aidait les micro-entrepreneurs à défendre leurs droits, et a joué un rôle clé dans la conception de systèmes de sécurité sociale et de microfinance. Elle a été fortement inspirée par la solidarité et la force de la communauté locale où elle travaillait, et a développé un fort intérêt pour l'organisation communautaire, qu'elle a ensuite exploré dans divers contextes à travers le monde.

De retour en France, Anne avait très envie de s'engager dans le développement urbain local d'un quartier défavorisé et d'expérimenter une foule d'idées créatives. Elle a trouvé un emploi de directrice du groupement d'intérêt public de deux quartiers du sud de Paris, une entité gouvernementale locale visant à faciliter la collaboration et les actions conjointes entre les institutions. Elle a piloté plusieurs nouveaux programmes, notamment la mise en place d'un réseau d'habitants capables de fournir des traductions pour aider à relier la population et le système éducatif local, mais elle s'est rapidement heurtée à la mentalité rigide des fonctionnaires et à la difficulté de financer une telle initiative avec des fonds publics. Au lieu d'essayer de changer les institutions publiques, elle a réalisé que pour créer un changement profond et durable, elle devait créer sa propre organisation et trouver un mécanisme de financement vertueux et indépendant.

Depuis 2011, Anne a réussi à lancer son modèle dans des environnements très complexes et politisés et à impliquer un large éventail de parties prenantes qui sont devenues de véritables ambassadrices de son travail.