Allaoui Guenni

La marginalisation est l'un des principaux facteurs contribuant aux cycles de chômage, de violence et d'agitation sociale dans les zones urbaines et suburbaines appauvries. Allaoui Guenni utilise le sport comme catalyseur pour faire tomber les murs qui entourent les populations locales, construire des passerelles vers l'emploi et l'intégration sociale, faciliter la résolution des conflits et, enfin, pacifier les relations au sein de la société.

M. Allaoui est convaincu que le sport est l'outil idéal pour rompre l'isolement social et inverser les tendances négatives. Les villes françaises étant généralement divisées entre les centres historiques riches et les quartiers enclavés où vivent les immigrés et les personnes à faibles revenus, M. Allaoui a créé les centres sportifs Emergence au cœur de ces quartiers, offrant des équipements de pointe, un large éventail de cours de sport et d'activités sociales, ainsi que des plates-formes uniques pour encourager les gens à faire du sport ensemble et à collaborer à la résolution des problèmes urbains. Grâce à un bouche-à-oreille efficace et à des prix compétitifs, les centres Emergence d'Allaoui attirent des milliers de personnes d'origines ethniques et sociales, d'âges et de quartiers différents, et facilitent l'entraide et les interactions sociales informelles. Les membres participent à diverses activités de médiation sociale qui appliquent les principes du sport à la vie quotidienne, les aidant ainsi à identifier les causes des conflits et les encourageant à impliquer diverses parties prenantes dans la résolution des problèmes. Cette approche transversale a été largement reconnue par les services sociaux et publics au sens large, qui voient en Emergence un guichet unique pour identifier et comprendre les problèmes qu'ils sont souvent incapables de résoudre collectivement en raison de la fragmentation administrative. Emergence travaille localement avec les écoles et les établissements d'enseignement, la police et les organes judiciaires, les anciens détenus, les pompiers et les agents des services de santé, ainsi que les bureaux d'aide sociale et les agences locales pour l'emploi. En 2003, les premiers résultats de cette approche transversale au Havre ont été impressionnants. En cinq ans, dans un quartier de 12 000 habitants, le flânage et le vandalisme ont diminué de 30 % et les agressions contre les camions de police et de pompiers de 35 %. Comprenant qu'aucune solution sociale n'est durable sans un accès garanti et durable à l'emploi, Allaoui utilise la plateforme Emergence et les méthodes de coaching sportif pour inciter les chefs d'entreprise locaux et les recruteurs d'entreprises à fournir des emplois aux habitants des quartiers à risque. Grâce à un marketing ciblé auprès des entreprises, il facilite le dialogue entre les professionnels du monde des affaires et les personnes intéressées par l'emploi grâce au sport. M. Allaoui a mis au point un programme efficace de coaching professionnel utilisant des méthodologies sportives éprouvées et des outils d'insertion pour mettre en relation les demandeurs d'emploi et les employeurs. Ce programme a permis à près de 400 personnes du Havre d'obtenir un emploi permanent et à cinquante anciens détenus de se réinsérer avec succès sur le marché du travail et dans la société. Son approche a convaincu de grandes entreprises de travailler avec lui, et M. Allaoui s'appuie désormais sur leurs réseaux d'entreprises pour ouvrir de nouveaux centres en France et en Belgique.

Dans les années 1960 et 1970, confrontées à une pénurie de logements et à des vagues d'immigration massive, les villes françaises ont construit des tours dans de grandes zones urbaines et suburbaines qui, dans le contexte actuel de récession économique, sont de plus en plus marginalisées. Aujourd'hui, plus de 4,5 millions de personnes vivent dans ces quartiers, dont 750 sont considérés comme à risque. Il n'est pas rare que le taux de chômage y atteigne 40 %. Au fil du temps, les administrations successives ont tenté d'organiser les services sociaux pour répondre aux besoins sociaux de ces zones, mais leurs efforts ont échoué, notamment parce que l'institutionnalisation a accru la bureaucratie administrative et la dépendance à l'égard du financement public, et parce que les services sociaux sont devenus trop fragmentés pour répondre efficacement à la réalité des besoins sociaux. Les discussions sur la création d'un « guichet unique » pour centraliser les interventions basées sur les besoins de chaque personne ne se sont jamais concrétisées. Ce contexte est reflété dans de nombreux rapports sur l'état du travail social et de la prévention spécialisée en France.

Entre-temps, les crises économiques successives ont maintenu les populations dans des immeubles éclatés, dans des quartiers découragés, où le manque de modèles et l'absence de réseaux professionnels renforcent la marginalisation et aggravent les problèmes sociaux. Des sous-groupes de minorités ethniques et nationales imposent leurs règles, d'où des conflits entre quartiers et des explosions régulières de violence souvent caricaturées dans les médias. L'image de ces quartiers s'est détériorée pour refléter les voitures en feu et la violence des rues, et rares sont les personnes extérieures qui s'y aventurent. Cette situation favorise l'isolement et l'agitation sociale et contribue fortement à des événements tels que les émeutes d'octobre 2005.

L'emploi est essentiel pour modifier les réalités locales. Avec un emploi stable, les gens parviennent à satisfaire les besoins de leur famille, à prendre confiance en eux et à améliorer leur niveau de vie, devenant ainsi des modèles pour les autres. Cependant, la mauvaise réputation et les incivilités croissantes de ces quartiers découragent les recruteurs de s'y rendre. En 2006, 70 % des recruteurs ont déclaré qu'il n'y avait pas de potentiel de recrutement dans les quartiers à risque, ce qui renforce la marginalisation. En l'absence de modèles et d'accès à des réseaux professionnels, la plupart des personnes ne savent pas comment approcher les recruteurs. Face à ce fossé grandissant, l'agence nationale de recrutement ne parvient pas à concilier les besoins des entreprises avec les réalités locales ; en tant qu'institution publique, elle a peu de contacts avec le monde des affaires et peu de flexibilité pour s'adapter aux besoins spécifiques des habitants de ces quartiers. Cela peut expliquer en partie le paradoxe entre les chiffres du chômage qui montent en flèche et plus de 100 000 offres d'emploi dans les secteurs de la construction et de la restauration, où peu d'expérience professionnelle est requise.

Convaincu par son expérience de travailleur social que les solutions aux problèmes sociaux se trouvent au cœur des quartiers en difficulté et nécessitent une approche transversale des questions d'éducation, d'emploi, d'autonomie et de respect mutuel, Allaoui crée des centres sportifs dans les zones de troubles sociaux qui favorisent l'interaction sociale et la collaboration avec les services sociaux et les entreprises. Son concept Emergence combine des activités structurées autour de trois axes :

1) Le sport rassemble des personnes de tous horizons. En mobilisant une partie des ressources municipales consacrées au sport, Allaoui construit dans les quartiers des centres de pointe dont la qualité rivalise avec celle des clubs sportifs privés. Ses tarifs, environ un sixième du prix des plus grandes chaînes de salles de sport en France, sont si attractifs que des personnes de toute la ville s'y inscrivent. Pour faciliter la diversité des membres, Emergence cible les entreprises et propose des formules avantageuses qui incluent des principes de coaching sportif applicables sur le lieu de travail.

Le sport est le moyen de rassembler les gens du quartier et des environs, du centre ville et du monde de l'entreprise. Au Havre, environ 30 % des membres sont issus des classes moyennes et supérieures. Cinquante-cinq pour cent des 1 000 adhérents sont des femmes, un enjeu important dans des quartiers où les hommes imposent souvent leurs règles. Le centre défend les principes de l'entraide et facilite les espaces d'interaction entre des personnes qui, autrement, ne se seraient jamais rencontrées.

2) La médiation sociale commence dès que l'on franchit la porte d'entrée d'Emergence. Les agents d'accueil sont des médiateurs professionnels dont le rôle est d'écouter les problèmes des personnes, d'identifier les risques et d'apporter des solutions si nécessaire. Emergence est également un point de référence reconnu par la police locale, les écoles, les pompiers et les services de santé, pour arbitrer les conflits avec les habitants, en particulier les jeunes, et impliquer les familles et les acteurs locaux, afin d'éviter les procédures judiciaires.

Pour structurer la médiation sociale en mettant l'accent sur la prévention, Allaoui a organisé des activités de vacances pour les enfants dans le cadre d'un programme intitulé « Sport et citoyenneté », afin de réfléchir à la manière dont les principes du sport (règles, arbitre, limites, etc.) s'appliquent également à la vie, et de créer un dialogue entre les jeunes et les services publics dont ils sont habitués à se méfier. Un petit signe tangible d'un changement est déjà apparu : Le nombre de pierres lancées sur les camions de pompiers et les ambulances a considérablement diminué et la caserne de pompiers locale a commencé à recruter des pompiers dans le quartier.

Conscient de l'impact des libérations de prisonniers sur le quartier, Allaoui a créé Package for Freedom, un programme visant à accompagner les prisonniers lors de leur libération, en les accompagnant dans leur retour à la vie normale et à l'emploi par le biais du sport et de l'insertion.

Avec ses activités de médiation sociale, Allaoui engage tous les services sociaux et publics qui jouent un rôle dans la vie quotidienne locale et a progressivement réalisé l'importance de leur complémentarité : Par son enracinement local et sa disponibilité (tous les jours de 9h à 9h), Emergence est le guichet unique que les gouvernements n'ont pas su créer.

3) L'emploi est considéré comme la clé pour apporter des réponses durables aux besoins sociaux - un outil de promotion sociale et d'autodépendance. Allaoui a travaillé très tôt avec des dirigeants d'entreprises locales, encadrant son programme de formation et de placement autour des besoins et des attentes des recruteurs. Le programme « At your best for a job » est un programme de coaching de deux semaines qui utilise le sport et le coaching professionnel pour préparer les gens au monde professionnel. Plus important encore, les recruteurs participent au programme et croient qu'Emergence garantira que les candidats valent la peine d'être pris en considération. Sur les 420 personnes qui ont participé au programme au cours des deux dernières années, plus de 300 ont trouvé un emploi permanent, la plupart des autres participant à des formations ou travaillant temporairement. Plus important encore, le coût est 10 à 15 fois inférieur à celui de programmes similaires menés par l'agence nationale de recrutement.

Allaoui a conçu Emergence comme un lieu d'expérimentation sociale continue pour résoudre des problèmes interconnectés. Lorsqu'il trouve la bonne recette, il crée des programmes qui sont gérés par un personnel très engagé et qui sont facilement reproductibles. Plus récemment, il a fait l'objet d'un audit visant à normaliser un outil de franchisage qu'il commence à utiliser pour reproduire le centre dans d'autres villes. La construction et la formation sont en cours à Bruxelles, en Belgique, et à Marseille, mais les demandes sont nombreuses. Allaoui sait que l'Emergence du Havre servira bientôt de terrain de formation pour les futurs managers et directeurs de programmes, et a reçu son accréditation en tant que centre de formation. À long terme, Allaoui envisage que les villes françaises considèrent les centres sportifs comme des outils pour résoudre les problèmes sociaux, des lieux pour coordonner les efforts des services sociaux et des moyens pour sortir les quartiers de la pauvreté et de l'exclusion.

Allaoui a grandi au Havre, où sa famille algérienne a cherché du travail et trouvé des opportunités dans le secteur de la soudure. Orienté vers le même métier que son père et ses frères, Allaoui éprouve le désir de souder des solutions sociales plutôt que de l'acier et quitte son emploi en usine pour devenir entraîneur de boxe française. Il passe progressivement du sport à la prévention spécialisée, où il devient éducateur de rue et apporte son expérience de terrain à un secteur souvent plus à l'aise dans l'observation des problèmes et la publication de rapports que dans leur résolution. Ses méthodes et ses succès se heurtent au système en place ; après avoir reçu un prix pour ses interventions auprès des jeunes à risque, l'inefficacité du reste du service est mise en lumière et il est prié de partir.

C'est à ce moment-là qu'il a commencé à jouer avec l'idée de l'émergence. En 2001, la découverte à la télévision d'une vieille piscine abandonnée au cœur de son quartier est une révélation. Il convainc la municipalité de lui donner les fonds nécessaires pour la transformer en centre sportif, et entre dans le réseau des employeurs locaux pour réussir à faire adhérer des entreprises locales. Avec 2 millions d'euros (2,6 millions de dollars américains), il transforme le bâtiment abandonné en un ring de boxe et une salle de sport ultramodernes, et commence à développer ses activités. Les cinq années suivantes ont été consacrées à tester et à présenter des programmes d'insertion sociale et à convaincre discrètement un large éventail de parties prenantes locales, publiques et privées, de travailler avec lui. Son travail a été reconnu début 2007 par le ministre de la Jeunesse et des Sports, Jean-François Lamour, qui a été impressionné par l'impact d'Emergence en termes d'insertion professionnelle des jeunes - loin, selon lui, des rapports traditionnels et des études comportementales du passé.

En 2008, fatigué d'entendre que son succès était dû à son identité particulière (ses origines communautaires et son passé d'athlète), il s'est engagé dans un processus d'audit indépendant qui a identifié les clés de son succès, a démontré le caractère unique de son travail par rapport à d'autres programmes dans ce domaine et a mis en évidence la duplicabilité de son travail. Grâce à ce document, et finalement à la reconnaissance ministérielle en tant qu'organisation de « prévention spécialisée », Allaoui s'est lancé dans un processus de franchisage au printemps 2008. Le premier bâtiment a été acquis à Bruxelles et la première franchise ouvrira en 2009. Des discussions similaires ont été entamées à Marseille et à Toulouse. Lorsqu'il n'est pas en train de voyager pour développer son activité, de partager un couscous avec des entreprises partenaires ou de résoudre une situation sociale complexe, ce jeune grand-père aime pêcher et passer du temps avec ses trois petits-enfants.