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Le bureau dans les marches © Louis Petit
Source: © Louis Petit

Polarisation des médias, prenons aussi soin des journalistes

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«J’ai disparu pendant trois mois… des réseaux sociaux, de Blast, etc. Bref, je me suis retirée du monde pour me retrouver, me sauver aussi un peu. » Assise sur une serviette à même le sable d’une plage, le regard doux et un léger sourire aux lèvres, bien emmitouflée dans un blouson à la doublure de laine retournée, la journaliste Paloma Moritz informe ses 68 000 abonnés Instagram de son récent burn-out. La détresse est presque encore palpable dans cette amorce de texte. En l’espèce, majoritairement compassionnels, les 852 commentaires et 14 000 likes reçus de sa communauté peinent à s’arrêter sur l’amalgame pratiqué alors par la journaliste qui assimile les réseaux sociaux ainsi que Blast, le média qui l’emploie, au « monde ». Car, à bien relire son commentaire, il n’y a plus l’ombre d’un doute. Son monde, à l’instant de l’écriture, semble bel et bien se limiter à ces deux espaces.

Chaque jour confrontés au fracas de la société, aux montées des fascismes, aux invectives pestilentielles, aux images choquantes 24 heures sur 24, aux plateaux saturés d’altercations grossières, les journalistes subissent un goutte-à-goutte figeant la brutalité dans leur quotidien. En deviendraient-ils brutaux à leur tour ? dans le choix de leur sujet ? leur traitement ? leur angle ? leur regard sur le monde qui influence tellement celui des citoyens ?

Du rôle des médias dans la polarisation des opinions

La polarisation des opinions se manifeste par la fragmentation de l’opinion publique en groupes opposés, souvent rendus incapables de dialoguer. Dans une démocratie, le débat contradictoire est aussi sain que nécessaire mais, lorsqu’il vire à l’antagonisme, il devient un obstacle à l’expression démocratique.

Selon un sondage OpinionWay pour le groupe Les Échos – Le Parisien et la Fondation Jean-Jaurès de novembre 2024, 72 % des Français pensent que le débat public ne fonctionne pas car il est trop violent. Surtout, ils sont 53 % à évaluer que sa qualité s’est dégradée au cours des dernières années. Les médias apparaissent aussi comme facteurs aggravant de ces divisions au lieu de les apaiser. Cette perception reflète l’image d’une société où les opinions extrêmes semblent dominer le paysage médiatique, marginalisant les voix modérées. Ces chiffres mettent en lumière une tendance inquiétante : des segments de la population adoptent des positions de plus en plus éloignées les unes des autres. Les conséquences dépassent les simples querelles d’opinion. Elles fragilisent les institutions démocratiques, réduisent la confiance dans les médias et, surtout, créent un climat de défiance généralisée.

La course à l’audience pousse les médias à privilégier des contenus sensationnalistes, parlant aux émotions davantage qu’à la raison et au discernement. À titre d’exemple, la couverture des grèves en France par certaines chaînes comme CNews a donné lieu à des débats très clivants entre syndicats et figures politiques, s’apparentant presque aux jeux du cirque. Ainsi les médias deviennent des chambres d’écho au profit des positions les plus radicales, éclipsant alors les approches plus nuancées.

Sur Twitter (aujourd’hui X), des hashtags comme #GiletsJaunes ou #StopImmigration deviennent rapidement des champs de bataille numériques, où chaque camp se radicalise. Déjà, en 2019, une étude de la Knight Foundation révèle que Twitter est dominé par des segments idéologiques extrêmes, ce qui exacerbe la polarisation dans les discussions politiques en ligne. La montée en puissance des formats courts et percutants, souvent dépourvus de contexte, accentue ce phénomène. Par exemple, des séquences issues de débats télévisés sont régulièrement isolées et partagées sur les réseaux sociaux, souvent par les médias d’information reconnus. Ces extraits, sortis de leur contexte, attisent la polarisation en présentant une version simplifiée et parfois déformée de la réalité.

La qualité de l’information, un sujet de santé publique

L’Organisation mondiale de la santé définit la santé publique comme la science et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et d’améliorer la santé physique et mentale à un niveau individuel et collectif. Comment alors renforcer le système immunitaire de l’information en France pour lutter contre la polarisation croissante de l’opinion ?

Cette crise sanitaire de l’information s’alourdit d’une autre liste de maladies comme la fracture démocratique (64 % des Français estiment que la démocratie fonctionne mal [source Ifop, 2023]), le burnout citoyen avec une abstention électorale de plus en plus inquiétante (28 % au second tour de l’élection présidentielle de 2022), le diabète de l’infox (18 % des 18-24 ans pensent que la Terre est plate [Ifop, 2023]), l’hémorragie de la confiance (56 % pensent que les journalistes ne sont pas indépendants des groupes ou des pressions du pouvoir [baromètre La Croix – Kantar, 2023]), l’anémie journalistique (40 % des journalistes quittent le métier après sept ans, selon l’Observatoire des métiers de l’audiovisuel et de la presse en 2017), l’arthrite du modèle économique puisque ce sont près de 204 millions d’euros qui ont été distribués en soutien à la presse par le ministère de la Culture en 2023.

De la responsabilité des journalistes dans nos représentations du monde

Étymologiquement, « informer » signifie « donner forme à ». Donc l’information permet aussi de donner une forme à l’opinion publique par une certaine représentation du monde. À en croire Jean- Jacques Rousseau, assez prolixe sur le sujet du contrat social, « la volonté générale ne peut errer, mais le jugement qui la guide n’est pas toujours très éclairé ». Des « lumières publiques » sont donc nécessaires. Un tel rôle pourrait être attribué aux journalistes. Or si ces lumières publiques voient tout en noir par habitude professionnelle, ou font la course à l’audience, pressées par un modèle économique plus que par leur responsabilité démocratique, alors les conséquences sur nos sociétés s’avèrent dévastatrices, collectivement comme individuellement.

Bien que, selon un rapport de Reuters de 2024, seulement 31 % des Français fassent confiance aux médias, 94 % déclarent s’intéresser à l’information et la consommer quotidiennement, notamment pour comprendre le monde qui les entoure (44 %) et se faire leur propre opinion (38 %). L’information permet de maintenir un lien avec le réel ainsi qu’un lien social dans la capacité à discuter ou débattre d’un fait d’actualité ou d’un grand événement, comme ce fut le cas durant la période des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024.

Selon l’étude produite en mars 2024 par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), 76 % des Français reconnaissent très nettement le rôle des médias historiques (télévision, radio et presse écrite) dans la formation de leur opinion. Ils placent même cette influence avant celle de leurs proches (72 %).

Nul ne peut ignorer la corrélation évidente entre le traitement de l’information et son influence sur les représentations du monde et la formation de l’opinion sur les grands sujets de société.

Les journalistes : une profession sous tension

Les journalistes, censés être des arbitres impartiaux, évoluent dans un environnement de plus en plus contraignant. Selon une étude Ipsos réalisée par les États généraux de l’information en juin 2024 auprès de 6 363 journalistes détenteurs de la carte de presse, 87 % déclarent ressentir une pression accrue pour produire rapidement des contenus. Bien que 77 % d’entre eux se sentent épanouis dans leur métier qui est d’abord perçu comme d’utilité publique, notamment pour la démocratie et les droits de l’homme, ils ne recommanderaient pas cette profession à leurs enfants.

Par ailleurs, tout comme les citoyens, les journalistes ont le sentiment que le traitement de l’information est avant tout tourné vers la recherche de l’audience (84 %) et est trop anxiogène (77 %), impression qui appuie la thèse d’un système médiatique sous pression économique au détriment du traitement éclairé, équilibré et représentatif de l’information.

Les journalistes subissent aussi des menaces directes. Selon une étude menée par l’Unesco auprès de 905 journalistes en mars 2024, 70 % des journalistes spécialisés en environnement sont menacés ou harcelés. Ce taux est en constante augmentation depuis ces dernières années.

Les biais dans le traitement de l’information

Les pressions économiques et éditoriales favorisent des angles biaisés ou incomplets. Par exemple, l’émission « Face à l’info » sur CNews, animée par des figures comme Éric Zemmour avant sa candidature politique, a illustré comment un traitement éditorial peut renforcer une polarisation en amplifiant des opinions controversées. Sans oublier que la montée en puissance dans l’espace médiatique de cette personnalité a largement été appuyée par sa présence dans des rendez-vous à forte audience sur le service public, comme l’émission de Laurent Ruquier « On n’est pas couché ».

Une étude de l’Institut Montaigne de 2021 révèle que 58 % des sujets médiatiques traités dans ces émissions de débat sont perçus comme « clivants » par le public, un chiffre bien supérieur à celui des émissions d’information généralistes. Autre exemple de biais, celui de la représentation dans le traitement de l’information : en temps électoral, le taux d’abstention chez les moins de 25 ans est souvent pointé du doigt, attitude parfois qualifiée d’ingratitude citoyenne. Plutôt que de chercher à comprendre ce qui nourrit cette abstention chez les plus jeunes, le constat de ce taux entretient un clivage entre différentes catégories de la population, notamment les plus jeunes et les plus âgées. Néanmoins, lorsqu’il s’agit de creuser les raisons de cet abstentionnisme, le manque de représentativité et de représentation des jeunesses dans l’espace politique s’invite en premier lieu. Et cette absence émane également d’une sous-représentation des jeunesses dans les principaux carrefours d’audience.

En mars 2024, en comptabilisant les quatre-vingt-douze invités de la matinale de France Inter, seuls sept d’entre eux avaient moins de 30 ans, soit 7,6 %. De surcroît, leurs thèmes d’intervention entretenaient un récit d’infantilisation des jeunesses au détriment de leur émancipation. Il n’est donc pas étonnant que, ne se sentant ni représentés, ni pourvus d’une image représentative, ils ne souhaitent pas appartenir à la société qui leur est présentée par l’espace médiatique majoritaire. La crise de la représentation s’étale à la une de nos quotidiens, alimentant la défiance et la polarisation des opinions.

La question de l’équilibrage des sujets, tout comme leur angle ou la façon d’être traités, engendre des conséquences majeures sur la perception du monde par les citoyens et sur leur propre appartenance à la société. Ce qui n’est pas raconté n’existe pas.

Comme 53 % des Français ressentent une fatigue informationnelle (selon l’étude de la Fondation Jean-Jaurès « Les Français et la fatigue informationnelle », en février 2022), celle-ci les conduit à réduire leur consommation d’une information qui est perçue comme anxiogène, violente dans les débats, sans garantie d’authenticité et pouvant entretenir un lien distendu avec l’expression démocratique.

Prendre soin des journalistes pour réconcilier les opinions

En France, plus de 33 000 journalistes s’adressent presque quotidiennement à la population française, selon l’Arcom. Comment vivent-ils la défiance galopante envers leur métier ? la concentration des médias ? l’arrivée tonitruante de l’intelligence artificielle ? Et si leur santé mentale agissait sur leur manière de percevoir les sujets, entretenait voire amplifiait des biais cognitifs, altérait leur relation aux autres en matière de management et accentuait parfois des pathologies psychologiques les tenant éloignés de leur activité ?

En novembre dernier, fatigué des pratiques délétères et de harcèlement opérées par les abonnés du réseau social X (anciennement Twitter), le quotidien Ouest-France décidait de supprimer ses comptes de la plateforme. « Comment avons-nous pu transformer des outils de débat, et qui pourraient être tellement utiles à la démocratie, en des machines infernales ignorant les règles du droit et de l’éthique ? Pourquoi cette impunité ? Comment accepter que l’Internet soit à ce point une zone de non-droit ? », s’interrogeait le président du directoire du quotidien, François-Xavier Lefranc. Cette numérisation et cette horizontalisation du paysage informationnel apportent leur lot de harcèlements, de contestations, de violences verbales envers les journalistes dont les conséquences sur la production même de l’information sont peu mentionnées, voire étudiées.

Phénomène inacceptable, en particulier dans une démocratie : près de 21 % des journalistes disent avoir été victimes d’agressions physiques dans l’exercice de leur métier (étude Ipsos pour les États généraux de l’information, en juin 2024). À ce propos, les personnes sondées expriment une opinion citoyenne très négative à l’égard des médias et des journalistes (90 %), qui se justifierait selon eux par la course à l’audience et la dépendance aux intérêts financiers et politiques (92 %). Les producteurs de l’information se retrouvent piégés dans un système informationnel dysfonctionnel auquel ils participent plus ou moins consciemment.

Et si prendre soin des journalistes était une des clés pour lutter contre la polarisation croissante ? Cette question peut aussi bien faire figure de claque ironique tout comme être l’illustration d’un zèle corporatiste. Pourtant, se loge ici une interrogation majeure pour nos sociétés polarisées, dont la réponse pourrait bien contribuer à oxygéner à nouveau notre démocratie.

Selon Reporters sans frontières (RSF), 73 % des journalistes ayant couvert des crises sociales ou des guerres déclarent souffrir de stress post-traumatique, une réalité qui affecte leur capacité à rapporter des faits objectivement. Par ailleurs, l’enquête menée auprès des journalistes dans le cadre des États généraux de l’information atteste que 87 % des journalistes ressentent au moins un effet négatif de leur métier sur eux-mêmes (leur santé physique, leur santé psychologique, leur niveau de stress ou l’équilibre de leur activité avec la vie personnelle) et près d’un tiers des sondés déclarent consommer davantage de produits potentiellement nocifs du fait de leur métier. Améliorer la condition des journalistes n’est pas un luxe, mais une nécessité. Cet objectif implique des politiques favorisant leur santé mentale et physique.

Prendre soin des journalistes passe également par une formation au métier adaptée aux enjeux du XXIe siècle. Car près de la moitié des journalistes considèrent que l’intelligence artificielle est une menace pour l’exercice de leur profession, quand 80 % sont intéressés par une formation sur les outils d’intelligence artificielle.

Il convient d’accélérer la formation des journalistes aux enjeux du XXIe siècle, tout en renforçant leur socle de connaissances liées à l’économie et à la science. Par ailleurs, le succès de l’émission « C ce soir » prouve qu’un débat respectueux, maîtrisé et encadré permet une meilleure compréhension des sujets pour le plus grand nombre. À cet effet, l’éthique de la discussion doit compléter les apports théoriques des étudiants journalistes et présentateurs, tout comme être régulièrement mise à jour pour les animateurs de débats plus expérimentés. Une confrontation des idées, dans un dialogue respectueux, maîtrisé et apaisé, offre aux citoyens l’occasion non seulement de mieux comprendre les sujets abordés mais permet aussi d’instaurer un réflexe d’écoute active auprès des parties prenantes du dialogue.

L’immersion dans des territoires éloignés et l’écoute des citoyens sont des pistes prometteuses. Un projet pilote lancé par France 3, « Paroles de quartiers », donne la parole à des citoyens issus de régions peu représentées médiatiquement. Ce genre d’approche favorise une meilleure illustration des réalités sociales et permet aux journalistes de mieux refléter la diversité de leurs audiences.

Impliquer les citoyens dans le processus médiatique

Par ailleurs, favoriser la mise en place par les médias d’espaces de dialogue entre les citoyens donne l’occasion aux journalistes de renouer également avec une posture de médiateur, davantage que d’instigateur de polarisation. Ainsi le dispositif « Faut qu’on parle » lancé par le média Brut associé au quotidien La Croix permet à une personne de rencontrer un inconnu qui ne pense pas comme elle sur des sujets qui concernent tout le monde, dans la seule intention de se comprendre sans chercher à se convaincre. Il s’agit là d’un moment de curiosité et de respect pour écouter ceux qui pensent différemment. Il a été prouvé que même une seule conversation peut favoriser l’empathie, l’ouverture aux autres et réduire les tensions politiques. Cette expérience a déjà rassemblé près de 300 000 participants aux États-Unis, en Allemagne ou au Royaume-Uni.

« Faut qu’on parle » fait partie du programme « My Country Talks ». Lancé en 2017 par la rédaction de Zeit online en Allemagne, « My Country Talks » est une initiative internationale qui a permis à plus de 290 000 personnes dans le monde d’échanger avec des inconnus sur des sujets politiques ou de société.

Considérant que la télévision trône au classement des outils privilégiés pour s’informer, la nécessité de (re)cadrer les devoirs liés à l’obtention des canaux de diffusion s’avère fondamentale, aussi bien à l’antenne qu’en ligne. Muscler l’immunité des usagers de l’information passe indéniablement par le renforcement du pouvoir du gendarme des médias, l’Arcom, aussi bien dans l’attribution des droits d’émettre que dans leur renouvellement, et le suivi du respect des obligations des médias.

Lorsque l’Arcom tranche en décidant de ne pas renouveler les chaînes C8 et NRJ12 sur leur canal de la TNT (télévision numérique terrestre), elle sanctionne des modèles économiques certes, mais également en creux des grilles non conformes à l’enrichissement citoyen que peuvent représenter les programmes de grande écoute dans une société qui a tant besoin d’apaisement et de consolidation du lien social.

Avec sa place centrale dans les foyers, le poste de télévision reste de loin le média le plus consulté par les Français (71 % des Français regardent quotidiennement la télévision, loin devant Internet qui représente 52 %, selon le Baromètre « La Croix – Kantar 2023 »). À l’instar de « The Voice », de l’Eurovision et des rendez-vous sportifs incontournables, grand nombre de programmes fédèrent les audiences autant qu’ils nourrissent les commentaires sur les réseaux sociaux.

Cette cohabitation dessine deux dimensions qui, d’une certaine façon, alimentent la défiance face aux médias. Car elle isole ceux qui regardent de ceux qui fabriquent, les uns pensant que ce qu’ils produisent, au regard des audiences générées, continue de susciter l’adhésion ; les autres trouvant dans le commentaire des programmes quelques raisons complémentaires de limiter la confiance à l’endroit des médias. Rappelons, en effet, que 51 % des Français ne font pas confiance aux médias en général, la télévision se classant avant-dernière avec 49 %, devant Internet.

Les temps politiques que nous traversons chahutent aussi notre idée même de la démocratie. Ils mettent au défi notre capacité, hors du scrutin électoral, à désigner les citoyens comme partie prenante des décisions plutôt que simples bénéficiaires, cibles ou points d’audience pour certains. Au niveau des médias, il est plus que nécessaire d’analyser en particulier la manière de produire les programmes, afin de gagner en clarté, à défaut de transparence.

La décision de l’Arcom offre une occasion unique de faire aussi entendre la voix des citoyens de tous les territoires. Et, malgré l’ambiguïté de la relation entre ceux-ci et les médias, ces derniers continuent de façonner une conception du monde et déploient une vision dominante dans laquelle la plupart des citoyens tentent de se projeter, tout en ressentant une certaine forme de maltraitance. Cet écart est manifeste dans la réelle absence de représentation de la population française dans les programmes à l’antenne, notamment les plus jeunes, qui constituent 24 % de la population mais seulement 10 % sur les écrans (Baromètre de l’Arcom, 2023). Cette sous-représentation est loin d’être étrangère ni à la défiance galopante, ni à l’émergence de mouvements sociaux voire sociétaux comme ceux des « gilets jaunes ».

Inclure les citoyens dans la façon de refléter la société est l’enjeu du paysage audiovisuel français pour les années à venir : il s’agit ici d’un levier évident contre la polarisation des opinions. Tous sont passeurs d’information d’autant que 76 % des Français reconnaissent que la présentation de l’actualité dans les grands médias influence leur opinion. Cette responsabilité est bien trop majeure à l’heure du numérique pour être assumée sans participation citoyenne.

Si l’Arcom est légitime pour réguler le paysage audiovisuel, l’avis des millions de Français qui regardent la télévision ne devrait-il pas être sollicité pour bâtir les programmes du XXIe siècle ? Soyons donc attentifs à la manière dont les nouveaux entrants de la TNT sauront dialoguer avec des Français de plus en plus méfiants envers les médias, pour faire de leurs canaux de diffusion des espaces de discussion pour le bien commun et la restauration de la confiance envers les médias dont le pluralisme est nécessaire comme garant de l’expression démocratique.

Dans ce but, l’ambition réelle d’une politique publique puissante d’éducation aux médias et à l’esprit critique, dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, doit exister. Son déploiement est de la responsabilité de l’État, son contenu à construire avec les parties prenantes que sont les médias, les associations, les citoyens, l’Éducation nationale. La mesure régulière de ses effets est indispensable.

Prendre soin du paysage informationnel français passe par une prise au sérieux du diagnostic des pathologies qui le touchent pour mettre en place un puissant traitement à destination des usagers de l’information. Cette transformation exige une responsabilité partagée entre journalistes, médias, citoyens et institutions. En rééquilibrant cette dynamique, nous pourrons bâtir une société où l’information, au lieu de diviser, sert à rapprocher.

 

Elsa Da Costa

Directrice générale, Ashoka France

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