En profondeur avec Ashoka, le grand entretien - 02 2024

Ils et elles sont entrepreneur.e.s, mentor.e.s, dirigeant.e.s engagé.e.s... Partez à la rencontre de la communauté d'Ashoka France et découvrez leurs retours d'expérience d'acteurs de changement !

 

Grand Entretien

Dans ce nouveau numéro du grand entretien , Macha Binot, responsable de la communauté Ashoka France reçoit Valérie Ader-Plaziat, mentor philanthrope membre de l’Ashoka Support Network (ASN).

Macha Binot : Bonjour, je suis Macha Binot, responsable de la communauté Ashoka France et j’ai le plaisir d’avoir à mes côtés Valérie Ader-Plaziat, mentor philanthrope membre de l’Ashoka Support Network (ASN).

Valérie Ader-Plaziat : Je m'appelle Valérie Ader-Plaziat. Me présenter, c'est à la fois complexe et très simple. Complexe parce que, compte tenu de mon âge, il s'est passé plein de choses ; et très simple parce que j'ai l'impression qu'il y a une unité dans tout ce que j'ai fait, tout ce sur quoi j'ai investi.

J’ai eu un parcours d'entrepreneure pendant plus de 25 ans en cocréant un cabinet de conseil dans le but d'accompagner des clients, mais également pour leur transmettre et s'assurer d'une prise en compte de l'impact qu'ils ont au sens humain du terme. J’ai poursuivi au sein du cabinet Columbus et aussi à titre privé, avec un investissement (toujours via l'entrepreneuriat) mais ici tourné vers l'intérêt général avec la cocréation d'un cabinet de conseil non-profit dédié au monde de l'économie sociale et solidaire. Finalement, avec un investissement bénévole au sein d'Ashoka pour accompagner des entrepreneurs sociaux.

Il y a plein d'autres initiatives dans lesquelles je suis toujours investie, dans l’idée d’accompagner l'entrepreneuriat, les entrepreneurs, qui ont les manettes et qui ont une forte notion de leur responsabilité dans la société, pour leur permettre de contribuer à l'intérêt général.

Macha Binot : Valérie, quel lien faites-vous entre l'entrepreneuriat social, l'intérêt général et les jeunesses - qui sont un sujet important pour Ashoka ?

Valérie Ader-Plaziat : La jeunesse est source d'inspiration. Pour moi, elle doit l’être pour les générations au-dessus. De fait, il est indispensable pour la société que les différentes générations échangent. Qu’est-ce que ça signifie pour moi, la jeunesse, l'emploi, l'entrepreneuriat social et l'intérêt général ? Pour moi, ça éveille deux idées. Une première qui est que, par mon métier, je suis au contact de jeunes depuis très longtemps. L'évolution de la prise en considération de l'intérêt général, qu'il soit social ou environnemental, je l'ai vu naître chez les jeunes avant ma génération. Telle une éponge, je me nourris de ça. De l'autre côté, je trouve que, dans des intentions comme celles d'Ashoka ou d'autres organisations, et par l'appui de gens comme moi, on arrive à ce que j'appelle :  « mettre un marchepied à la jeunesse », pour lui donner envie, pour que des parcours soient désirables, au-delà du monde économique classique - et en particulier pour le monde de l'intérêt général. La mise en valeur de l'entrepreneuriat social comme Ashoka peut le faire, pour moi, c'est un énorme vecteur d'envie pour les jeunes.

Macha Binot : Quelles sont les conditions pour que le dialogue puisse se faire ?

Valérie Ader-Plaziat : Pour que le dialogue se fasse, il faut écouter sans a priori. Il faut permettre qu'il y ait des rencontres entre des univers d'âges très différents, ce qui arrive rarement – on reste souvent  plutôt dans nos tranches d'âge, ou alors dans des rapports parents-enfants, etc. Il faut se mettre dans une situation d'écoute de tous les côtés, c'est à dire que les jeunes se disent : « il y a quelque chose à apprendre des générations plus anciennes », et que les générations plus anciennes se disent : « ils ont quelque chose à m'apprendre ». Ce qui est quand même très compliqué pour beaucoup.

Les jeunes peuvent vous apprendre aussi bien en termes de savoir, mais aussi de savoir être, de comportement, via leur expérience de vie. Il y a des gens très jeunes qui ont des expériences et un regard sur la vie qui est très intéressant, et parfois beaucoup plus étudié que ce que l'on peut avoir, nous, à nos âges. Il faut être dans une situation d'ouverture, sinon le dialogue ne passe pas, et on se donne des leçons les uns aux autres en se disant : « moi qui suis jeune, vous ne pouvez pas comprendre parce que [...] » ou « moi qui suis vieux, vous ne pouvez pas comprendre, parce que vous n'avez pas l'expérience et vous n'avez pas vécu. »

Le dialogue, c'est aussi avoir confiance dans la capacité de l'autre à faire différemment. Je vais vous donner un exemple qui m'a profondément marquée : je suis très investie dans la Convention des Entreprises pour le Climat. Au retour d'une des conférences qui m'avait un peu mis le moral à zéro, je discutais avec un de mes fils, qui est très jeune. Je faisais le bilan, et je m'apercevais qu'il était  tout à fait au courant. A un moment il me dit : « Maman, tu ne peux pas te mettre à notre place, à ma place, à mon âge, donc ne porte pas ça, toi. Nous, on est arrivé avec ça en tête, donc on le voit différemment ».

Il faut aussi se dire qu'on n'a pas forcément les solutions en soi. Ce n’est pas pour ça qu'il ne faut pas faire quelque chose pour aider. Ce n'est pas du tout mon propos, au contraire. Mais il faut aussi penser que l'autre a des ressources. On parle de la jeunesse, mais ça peut être beaucoup plus large. Ce n’est pas parce qu'on est vieux qu'on sait tout et qu'on doit aussi souffrir pour les pour les jeunes par exemple, si je parle simplement de la partie environnementale. C’est cela que j'appelle le dialogue : ce n'est pas simplement parler et attendre qu'on soit écoutés.

Macha Binot : Pour aller plus loin sur le dialogue dans nos sujets que sont l'intérêt général et l'entrepreneuriat social, est-ce que vous pourriez nous donner des clés, des liens avec la dimension systémique du développement de ces sujets ?

Valérie Ader-Plaziat : Je pense qu'il y a deux angles de vue différents. Il y a d'abord mon expérience, ce que j'ai vécu. Il y a ensuite une couche plus conceptuelle, plus théorique que j'ai acquise a posteriori, en regardant ce que j'avais vécu. La première, c'est mon expérience entrepreneuriale d'association où construire dans un écosystème de parties prenantes, un collectif, ça veut dire partager un certain nombre de valeurs et partager ses attentes les uns avec les autres. C’est quelque chose de très riche.

Mais je me suis aperçu qu’avec l'expérience que, ce qui en ressortait, ce n'était pas ce qu'on s'était dit au départ. Il est arrivé autre chose que l'on n'avait pas attendu. En l'occurrence, pour mes associés, quelque chose qui est bien au-delà de simples partenariats professionnels - quelque chose de beaucoup plus profond. J'aime bien faire un parallèle avec l'économie régénérative et systémique, puisqu'il y a quand même un lien sur les principes du vivant. Il y a deux principes qui sont importants : d'abord, nous sommes des écosystèmes, et qui dit écosystème dit interaction avec d'autres vivants. Ces interactions, on ne les maîtrise pas toutes. Il faut se mettre en tête que seul, de toute manière, on n’arrivera pas très loin. Ce n'est qu'avec cet écosystème qu'on peut arriver quelque part. Cependant en revanche, on ne sait pas où on va arriver.

Le deuxième principe, c'est le principe de l'équilibre dynamique. Par exemple, lorsque vous montez un partenariat, peu importe le type de parties prenantes avec lequel vous êtes. Il faut se poser les bonnes questions : quelles sont nos valeurs ? Est-ce qu'on a des intentions communes ? Est-ce que nos attentes sont compatibles ? C'est une première base. Ce qui est essentiel, c'est ce qui va découler de tout ça. C'est ce que j’évoquais tout à l'heure : se laisser surprendre par ce qui va émerger. C'est ce qui fait qu'un partenariat va aller bien au-delà de ce qui était prévu. Sinon, on va s'arrêter à un niveau et refaire ce qu'on a déjà fait 250 fois. C'est ce miracle qui fait la vie, que nous évoluons, que les êtres vivants évoluent aussi, qu’ils s'adaptent, se protègent, s'entraident, qu’ils deviennent autre chose, etc. C'est pareil dans nos relations humaines au sens large. Si on parle d'organisation, c'est bien de se laisser surprendre par quelque chose qui est au-delà (avec des bases saines évidemment, sinon c'est impossible).

Macha Binot : Et se laisser surprendre, c'est aussi se mettre en condition face à la complexité d'un système ?

Valérie Ader-Plaziat : L'être humain a une capacité à tout complexifier, à penser qu'il est capable de gérer la complexité tout seul. On est à une époque où la complexité est telle qu’il n'y a pas « un problème, une solution ». C'est collectivement, avec de l'itération, en se laissant surprendre que l’on va permettre l'innovation au sens social du terme - pas forcément l'innovation technologique. On ne pourra avancer que comme ça.

La vision systémique est donc indispensable. On l’observe évidemment sur la partie environnementale, puisque, quoi que l’on fasse, on a un impact. Donc cette complexité, le fait que nous soyons tous entremêlés, que nous formions un tout, fait que l’on ne peut n’est se gérer que de manière systémique. L'entrepreneuriat vu par Ashoka a cette grande force : identifier des organisations et des entrepreneurs qui sont capables de déclencher ces changements et de les porter au-delà de leur personne.