Yvonnick Huet
Ashoka Fellow depuis 2011   |   France

Yvonnick Huet

Agrisud
Au milieu des années 1980, Yvonnick Huet a été le premier à proposer un modèle basé sur le marché pour résoudre les problèmes de pauvreté et d'alimentation en restructurant des marchés agricoles…
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DES MILLIERS DE MICRO-ENTREPRISES POUR TISSER LA TOILE D’UN DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DURABLE

 

IDÉE

Dès le milieu des années 1980, Yvonnick Huet a contribué à faire émerger une approche de l’aide au développement qui réponde localement aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Focalisant ses efforts sur le développement de TPE agricoles familiales et agro-écologiques, et sur la mise en place d’un environnement porteur, cette approche redonne un rôle économique aux plus pauvres, professionnalise et met en réseau des acteurs au niveau des territoires, forme des maîtres exploitants et renforce les capacités des organisations locales.

 

IMPACT

Lancé en 1992, Agrisud agit dans 25 pays, sur 4 continents. Impacts sociaux : 53 400 TPE agricoles familiales soutenues, soit 188 500 emplois durables créés et 504 000 personnes sorties de la pauvreté. Impacts économiques sur l’année 2016 : 83,2 millions d’euros/an de revenus nets générés, production de 330 000 tonnes de nourriture, sécurité alimentaire améliorée. Impacts environnementaux sur l’année 2016 : 26 500 tonnes/an de carbone séquestrées. De plus, Agrisud a un effet démultiplicateur par transfert auprès de 471 ONG locales. Aujourd’hui Agrisud compte 265 collaborateurs, dont 7 au siège.

 

QUI EST-IL ?

Yvonnick est né en Bretagne et suit des études d’agronomie, puis passe 7 ans dans l’humanitaire en Afrique. Il est le co-fondateur et directeur général d’Agrisud International. Marié, Yvonnick a 2 filles.

This description of Yvonnick Huet's work was prepared when Yvonnick Huet was elected to the Ashoka Fellowship in 2011.

Introduction

Au milieu des années 1980, Yvonnick Huet a été le premier à proposer un modèle basé sur le marché pour résoudre les problèmes de pauvreté et d'alimentation en restructurant des marchés agricoles locaux viables dans les pays en développement. Contrairement au domaine du développement, traditionnellement axé sur la charité et culturellement sceptique à l'égard des projets économiques, Yvonnick a concentré ses efforts sur les petites entreprises, qu'il considère comme le principal facilitateur du développement. Il est devenu l'architecte d'un nouveau domaine qui promeut l'accès aux marchés et la pleine citoyenneté économique.

L'idée nouvelle

En réponse au manque d'attention portée aux dimensions économiques dans les programmes des organisations de développement traditionnelles, en particulier en Afrique francophone, Yvonnick a été l'un des premiers à promouvoir des solutions axées sur le marché pour développer les économies des populations pauvres. Outre les solutions axées sur le marché, Yvonnick s'attache à rétablir le rôle de ces communautés dans la société tout en changeant l'état d'esprit des individus afin qu'ils s'engagent en tant que participants actifs sur le marché. Pendant sept ans au Congo, à partir de 1984, il s'est écarté de l'approche traditionnelle des praticiens du développement pour commencer à concevoir et à piloter un modèle sans précédent visant à créer des marchés agricoles locaux indépendants. Yvonnick a été le premier à adopter une approche multidimensionnelle, en commençant par la création et le développement d'entreprises, en plus des techniques agricoles et de l'émergence de nouvelles institutions. Au cœur de son idée, il y a sa vision d'exploiter le potentiel des travailleurs informels et pauvres dans les environs des grandes villes. Yvonnick veut construire de solides réseaux de micro-entrepreneurs agricoles capables d'accéder au marché et de concurrencer les grands acteurs agro-industriels et les importations. Soutenu par l'État et des entreprises privées, il a réussi à façonner le marché, inversant le taux de 85 % de produits importés sur le marché alimentaire de Brazzaville en 85 % de fruits et légumes produits localement.

Après dix ans d'expérience sur le terrain, Yvonnick a ensuite étendu son travail à d'autres contextes qui avaient également besoin de réponses du marché aux crises économiques. Tout au long des années 1990, il a systématisé son approche pour construire des « ceintures vertes » dans les environs des grandes villes d'Afrique francophone et d'Asie. Travaillant main dans la main avec des organisations de base, des ministres et des agences de développement aux niveaux national et international, il a facilité un changement d'état d'esprit en faveur du soutien aux petites entreprises. En responsabilisant les acteurs locaux et en encourageant la création d'institutions nationales sur le micro-entreprenariat et l'agro-écologie, Yvonnick a construit des écosystèmes solides qui peuvent assurer la durabilité et la croissance de son modèle. Aujourd'hui, il gère des programmes dans 13 pays sur quatre continents et a directement soutenu la création de 27 500 petites entreprises avec un taux de survie élevé, générant 100 000 emplois durables et aidant 250 000 personnes à sortir de la pauvreté. Grâce à son réseau de « maîtres-agriculteurs » et d'organisations formées qui diffusent son modèle, Yvonnick estime qu'il génère un effet multiplicateur de 12.

Le problème

Dans les années 1980, le système économique et agricole du Congo était principalement planifié par l'État et divisé en grandes fermes d'État, en projets de développement national financés par des agences internationales, en sociétés offshore et en une vaste économie informelle de la population locale. Comme dans de nombreux autres pays en développement souvent frappés par des crises alimentaires depuis les années 1980, peu d'espace est accordé à l'entrepreneuriat des petites entreprises, ce qui entraîne l'absence d'un système de production alimentaire structuré et durable ainsi que de solutions économiques pour surmonter la pauvreté. En outre, ces économies locales dépendent de grandes industries dont les produits exportés ne sont même pas produits dans le but de nourrir les populations locales. Dans ce système, les obstacles à la création de petites entreprises sont importants et les outils à la disposition des populations locales pour les surmonter sont limités. Il y a vingt ans en particulier, lorsque Yvonnick a commencé à travailler à l'élaboration de son modèle, les solutions proposées par les agences d'aide au développement pour réduire la pauvreté étaient souvent trop partielles et à trop court terme pour s'attaquer aux causes profondes du problème. Fragmentées en techniques agricoles, en soutien aux entreprises, en assistance sociale et en aide financière, elles n'étaient pas suffisamment étendues et collaboratives pour aider les gens à parcourir le chemin complexe qui les mènera à devenir des citoyens économiques à part entière. En outre, les projets de développement des organisations citoyennes (OC) étaient réalisés en fonction de l'agenda des donateurs internationaux, et non des besoins locaux. À l'époque, aucune ligne budgétaire n'était consacrée au soutien des petites entreprises. La plupart des programmes financés étaient axés sur l'éducation gratuite, la santé et l'alimentation. En raison de leur approche à court terme, ils limitent la résilience de l'aide au développement et n'abordent pas les cours des projets après le départ des CO. Les populations locales deviennent dépendantes de l'assistance des CO. Enfin, les solutions des organisations de coopération sont souvent proposées du Nord vers le Sud, ne sont pas en contact avec le terrain et manquent de consultation et d'implication locale.

Conscients des limites de leurs réseaux et de leur expertise sur le terrain, les bailleurs de fonds internationaux et les entreprises privées sont plus que jamais disposés à investir dans des solutions à long terme et à proposer une approche intégrée. Comme l'a expliqué l'Agence française de développement (AFD), les institutions financières sont très demandeuses d'approches telles que celle d'Agrisud. Pour relever les défis croissants de la pauvreté et de la crise alimentaire, ainsi que les problèmes spécifiques des groupes défavorisés tels que les femmes ou les jeunes, il est essentiel d'augmenter le nombre d'acteurs qui travaillent à la reconstruction du tissu microéconomique et favorisent ainsi le développement économique à long terme.

La stratégie

En 1984, Yvonnick a vu dans la création et le développement d'un grand nombre de micro-entreprises une stratégie clé pour favoriser de nouveaux marchés agricoles et restaurer l'autonomie des populations pauvres. Pour lancer ses programmes, il a d'abord bénéficié du soutien de l'État congolais (qui percevait un pourcentage des recettes pétrolières) et de grandes entreprises privées comme Total. Aujourd'hui, l'approche intégrée d'Yvonnick est basée sur un processus en trois étapes pour réorganiser la structure agricole : (i) mener une analyse approfondie du marché pour comprendre les spécificités macro et microéconomiques locales et concevoir la voie d'intervention appropriée (ii) concevoir un plan d'action à la base pour identifier les partenaires locaux et les bénéficiaires potentiels (iii) former les bénéficiaires pour renforcer les capacités d'entreprise et améliorer les techniques des petites entreprises agricoles. Parallèlement à ces efforts, Yvonnick s'efforce de faire en sorte que les individus se considèrent comme un maillon essentiel de la chaîne d'approvisionnement. Agrisud suit leurs progrès sur une période de trois ans. Pendant cette période, Agrisud leur fournit les outils nécessaires pour comprendre et proposer une offre appropriée au marché, en surveillant constamment son évolution par l'intermédiaire d'instituts de recherche économique. Agrisud a également travaillé à l'expansion des marchés du réseau en établissant des ponts avec des entreprises privées telles que Veolia pour la distribution de l'eau ou le Club Med pour l'approvisionnement en nourriture dans les hôtels de tourisme. En facilitant ces alliances gagnant-gagnant, Yvonnick ouvre de nouveaux marchés dont les petits producteurs étaient auparavant exclus, tout en conseillant aux groupes privés de modifier leurs pratiques et de développer des relations économiques avec les populations locales.

Yvonnick reconnaît le grand potentiel de son modèle de résolution de problèmes dans des contextes marqués par les catastrophes naturelles, l'instabilité politique et les crises alimentaires. Depuis 1993, Yvonnick applique son approche dans de nombreux pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. Soucieux de ne pas dépendre d'Agrisud, il a encouragé l'émergence de puissants réseaux locaux pour soutenir les petites entreprises dans leur développement. Yvonnick insiste sur la création de structures nationales affiliées à Agrisud pour assurer la pérennité du modèle. Lorsqu'il existe une lacune dans le cadre institutionnel local, Agrisud la comble en lançant de nouvelles activités pour la combler. Au Gabon, par exemple, l'Institut gabonais de développement, un organisme national à but non lucratif chargé de promouvoir l'agroécologie dans tout le pays, a été créé par Agrisud (1992) et joue depuis lors un rôle clé dans la structuration des marchés agricoles locaux. En outre, en augmentant constamment le nombre d'agriculteurs ayant l'esprit d'entreprise, l'approche de terrain d'Yvonnick consiste à renforcer la capacité des « maîtres-agriculteurs » - des agriculteurs formés et expérimentés soutenus par Agrisud - à diffuser le savoir-faire au sein de réseaux locaux. Cette stratégie a un impact considérable : En République démocratique du Congo, 2 000 agriculteurs ont été soutenus directement par Agrisud, mais grâce à l'effet de réseau des maîtres-agriculteurs, 25 000 agriculteurs ont été effectivement formés. Avec des maîtres-agriculteurs dans treize pays, il y a un grand potentiel pour ce processus auto-alimenté.

Répondant à une forte demande, Yvonnick a créé des outils pour formaliser et déployer l'impact d'Agrisud sur les marchés. Son expertise est aujourd'hui tellement reconnue qu'il est régulièrement consulté par les acteurs locaux et les bailleurs de fonds internationaux. Cette démarche proactive permet à Agrisud d'appliquer son propre projet sans subir les interférences des bailleurs de fonds internationaux. Agrisud reçoit chaque année environ 5 millions d'euros (6,5 millions de dollars américains) de la part de ministères locaux et d'agences de développement françaises et européennes pour lancer et soutenir des programmes. Pour avoir un impact permanent sur les marchés, Yvonnick établit des alliances stratégiques avec des partenaires clés dans de nouveaux pays et de nouveaux secteurs : Le CIRAD pour l'horticulture, Terre et Humanisme de Pierre Rabhi pour l'agroécologie, et l'AFD pour l'aide française au développement. L'approche méthodologique d'Yvonnick lui a permis de s'adapter à différents contextes. Constamment à l'affût de nouvelles opportunités, il lance actuellement un projet en France avec la Banque Alimentaire pour soutenir les femmes sans emploi dans la création de petites entreprises autour du recyclage des fruits et légumes gaspillés. Enfin, pour multiplier l'impact d'Agrisud au-delà de sa propre capacité de développement, Yvonnick a développé deux cycles d'apprentissage pour former les organisations de producteurs et les institutions afin de diffuser ses outils. Les quatre-vingt-dix organisations formées jusqu'à présent transforment leurs pratiques tout en atteignant de nouvelles populations dans le besoin et en intégrant une approche économique systémique pour répondre aux défis des pays en développement.

Yvonnick reconnaît que pour réduire la pauvreté et accroître la sécurité alimentaire, les individus et les communautés ont besoin de marchés locaux fonctionnels et que pour aider à créer et à soutenir ces marchés locaux, il est essentiel de changer l'état d'esprit des individus afin qu'ils se considèrent comme des participants actifs et engagés dans une chaîne d'approvisionnement pour le marché. Il a reconnu qu'un élément clé de ce changement était la modification de la relation entre les agriculteurs individuels et les autres acteurs des marchés locaux. Yvonnick réunit des groupes d'individus pour surmonter les obstacles à l'entrée sur le marché (par exemple, les coûts de transport, la nécessité de disposer d'une certaine quantité ou d'un certain volume de nourriture, et les contraintes d'espace physique sur le marché où les marchandises sont vendues) ; il s'efforce ensuite de créer un environnement propice à la réussite des agriculteurs et à leur pérennité. Les activités qui l'aident à atteindre cet objectif comprennent la formation aux techniques de négociation, la formation des organisations locales pour qu'elles fournissent des conseils en matière de gestion d'entreprise, et la participation des institutions locales pour qu'elles fournissent de petits montants de crédit au collectif.

Yvonnick est devenu une référence et un architecte du domaine. Il peut désormais partager largement son expertise et son savoir-faire par le biais de cycles d'apprentissage. Yvonnick continue d'innover pour appliquer son modèle à différents contextes afin d'aider les gens à réduire leurs difficultés en devenant des microentrepreneurs prospères. Au Cambodge, au Niger, en Haïti, en Angola ou au Sri Lanka, dans des contextes de crise sociale et humanitaire, des milliers de réfugiés se sont forgé un rôle social et économique dans la société en lançant leur propre petite entreprise. Plus récemment, Yvonnick a commencé à appliquer son approche en France en soutenant des femmes au chômage de longue durée qui ont besoin d'une solution intégrée et entrepreneuriale pour améliorer leur situation.

La personne

Yvonnick a passé son enfance en Bretagne où sa mère a planté la graine de l'idée de partir en Afrique. Il suit des études d'agronomie et part finalement comme volontaire à 22 ans. Pendant sept ans, il travaille comme agronome dans le domaine humanitaire au sein d'une organisation internationale de volontaires, chargé de créer une pépinière régionale au Niger ou de mettre en place des programmes de sécurité alimentaire à Sao Tomé. En 1985, alors qu'il s'apprête à prendre un poste au sein de l'Union européenne, il fait une rencontre déterminante avec l'économiste Jacques Baratier au Niger, qui partage avec lui la même intuition : le développement humanitaire nécessite une dimension économique dans ses solutions. Tous deux décident de s'engager dans la création d'Agricongo, ce qui implique de ne pas toucher de salaire et d'emmener avec lui en Afrique sa femme et sa fille qui vient de naître. Le cofondateur d'Yvonnick est décédé, mais Yvonnick a continué à diriger et à être le visionnaire du travail de l'organisation.

Yvonnick a capitalisé sur tous les échecs et succès du projet Agricongo pour améliorer son approche étape par étape. Personnalité ambitieuse et structurée, il souhaite développer le projet et imagine alors une nouvelle organisation capable de porter le développement de son modèle. En 1992, il crée Agrisud, la manifestation internationale d'Agricongo, et la lance au Gabon et au Cambodge. Pendant ce temps, Yvonnick reste au Congo avec sa femme et ses deux filles, gérant également le projet national et le développement international. Il est resté même pendant la guerre civile, pour finalement retourner en France en 1995 et coordonner le réseau Agrisud à partir de là. La vision du développement international d'Yvonnick a permis à Agrisud International de quadrupler sa présence dans de nouveaux pays en dix ans. Conscient des défis posés par un réseau aussi étendu, il a redéployé son équipe pour être plus efficace, tout en restant attentif, en tant que manager, à informer et travailler avec chaque équipe locale pour comprendre l'importance d'Agrisud.

Positionnant Agrisud comme un maître-agriculteur transférant son savoir-faire, Yvonnick intervient en tant qu'expert auprès du PNUD et de l'UE. Soucieux de partager son expérience, il donne également des conférences sur le développement durable dans des écoles et universités en France. En 2009, Yvonnick a cofondé avec Be-linked l'association Business and Poverty à l'école de commerce HEC. Toujours en train d'évaluer des solutions et de formaliser des outils, il travaille actuellement sur une mesure sociale étendue basée sur une étude pilote SROI réalisée en partenariat avec Planète d'Entrepreneurs. Il reste modeste, bien qu'il ait été fait Chevalier de la Légion d'Honneur, et profite de sa vie dans l'Ouest de la France avec sa femme et ses filles. Toujours passionné par l'Afrique et par le terrain, Yvonnick continue de s'y rendre, ainsi que sur d'autres continents, pour lancer de nouveaux projets, créer de nouveaux partenariats et inventer de nouveaux modèles de développement, tout en conservant sa vision fondamentale d'une citoyenneté économique à part entière pour les populations du monde entier.