Jean-Louis Kiehl
Ashoka Fellow depuis 2011   |   France

Jean-Louis Kiehl

Cresus
Jean-Louis Kiehl est à l'origine d'un modèle visant à prévenir le surendettement des consommateurs et à lutter efficacement contre l'exclusion sociale et financière. Grâce à un large…
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IDÉE

Le surendettement engendre une double peine d’exclusion financière et sociale. Or les établissements financiers peuvent être excessivement incitatifs, et la France reste un des rares pays sans “Registre national du crédit”. Le nombre de ménages français ayant recours à une Commission de surendettement a été multiplié par 4 en 30 ans – soit 220 millions € de frais pour l’Etat et 7 milliards d’encours en péril en 2016. JeanLouis Kiehl agit sur trois volets : éduquer et accompagner les populations à risque par des consultations de proximité ; devenir partenaire des organismes au contact de l’insolvabilité pour former leurs équipes et les populations fragiles à une meilleure prévention ; créer une plateforme partenariale avec les établissements de crédit pour détecter en amont les personnes menacées et leur proposer un accompagnement. Enfin, il agit auprès des pouvoirs publics pour une politique de prévention active du surendettement.

 

IMPACT

Le réseau national comporte 26 associations fédérées, 124 points d’accueil, 640 bénévoles qualifiés pour 165 000 consultations de ménages et 68 200 heures de formations en 2016. La plateforme pilote de prévention du surendettement est lancée avec 60 partenaires bancaires et assurances, et 84 partenaires institutionnels. En 2015, il lance un programme innovant d’éducation financière et budgétaire “Dilemme” agréé par l’Education Nationale et en 2017 l’expérimentation d’un projet alternatif du Registre des Crédits en France.

 

QUI EST-IL ?

Jean-Louis commence à travailler dès l’âge de 14 ans. Il est lauréat de la Faculté de Droit Robert Schuman (droit des contentieux). Il a été délégué du médiateur de la République pendant 10 ans.

This description of Jean-Louis Kiehl's work was prepared when Jean-Louis Kiehl was elected to the Ashoka Fellowship in 2011.

Introduction

Jean-Louis Kiehl est à l'origine d'un modèle visant à prévenir le surendettement des consommateurs et à lutter efficacement contre l'exclusion sociale et financière. Grâce à un large éventail d'aides sociales et juridiques, de formations et de partenariats innovants avec les banques et les sociétés financières, Jean-Louis aide les populations à risque et les professionnels à gérer les questions financières, à réduire le risque de surendettement et à faire évoluer les pratiques actuelles vers un système de crédit amélioré et responsable.

L'idée nouvelle

Le système français ne disposant pas d'un bureau de crédit, Jean-Louis a développé un modèle innovant pour fournir aux personnes ayant des difficultés financières le soutien social et juridique dont elles ont besoin pour réduire le risque de surendettement et prévenir l'exclusion sociale. Jean-Louis utilise une triple approche axée sur l'éducation, la prévention et la détection précoce. En ce qui concerne l'éducation, il combine des suivis individuels avec des consultations sur le web et à la radio, et donne aux gens les conseils et les outils budgétaires nécessaires pour alléger le fardeau de l'endettement. En misant sur la prévention, Jean-Louis a réussi à réorienter les activités de l'organisation citoyenne Cresus vers la responsabilisation des personnes et des familles fragilisées financièrement.

Bien que conscient que les budgets déséquilibrés finissent par limiter les solutions, Jean-Louis s'engage à briser le cercle vicieux de l'endettement le plus tôt possible. Il renforce les partenariats avec les acteurs de terrain, notamment les bailleurs sociaux, les fournisseurs d'énergie et les travailleurs sociaux, afin de détecter le plus tôt possible les difficultés financières des clients et des bénéficiaires et de trouver des solutions. Grâce à un large éventail d'ateliers et de formations, Jean-Louis sensibilise également les populations à risque aux questions d'endettement afin de prévenir les problèmes avant même qu'ils n'apparaissent.

Convaincu que la résolution des problèmes de surendettement relève d'une responsabilité partagée, Jean-Louis s'emploie aujourd'hui à modifier les pratiques des banques et des sociétés de financement en matière de crédit. Il dirige actuellement un projet pilote de plateforme dédiée à la prévention de l'endettement et co-dirigée par un certain nombre de grandes sociétés financières. En outre, il plaide en faveur de politiques gouvernementales visant à la création d'un bureau de crédit. Les stratégies révolutionnaires de Jean-Louis s'attaquent aux racines de la crise du surendettement.

Le problème

Depuis 1980, la pauvreté et l'endettement ont augmenté de manière significative et simultanée en France : Ces questions sont en effet intimement liées. En seulement trente ans, l'encours de crédit a été multiplié par quatre, soit autant que le nombre de personnes qui déposent leur dossier auprès des commissions de surendettement, organismes publics pilotés par la Banque de France qui peuvent effacer les dettes des particuliers. Selon les indicateurs, entre un et deux millions de personnes seraient surendettées et risqueraient la liquidation personnelle. Mais la situation est d'autant plus alarmante si l'on tient compte des quinze millions de personnes - soit le quart de la population française - qui ont exprimé des difficultés à rembourser leurs prêts ou leurs crédits chaque mois dans le dernier rapport du Médiateur de la République.

Les particularités du système de crédit en France ont eu des conséquences sociales néfastes. La France étant l'un des trois pays au monde à ne pas disposer d'une Centrale des Crédits permettant d'enregistrer les encours de crédit des citoyens, il est possible d'accumuler des crédits à la consommation importants sans que les prêteurs puissent savoir s'il existe d'autres crédits. Par conséquent, deux millions de personnes sont titulaires de plusieurs crédits et le montant de l'endettement excessif à la consommation est plus élevé que partout ailleurs dans le monde : 45 000 euros (58 600 dollars) en moyenne. Le coût social de cette réalité est important : Les faits divers concernant des débiteurs qui se suicident ou attaquent des banques sont alarmants et reflètent la solitude, la détérioration de la cellule familiale, l'exclusion financière et la pauvreté qui résultent de cette situation.

En 2009, la Cour des comptes française a indiqué que la situation s'aggravait, notamment en raison de l'absence de politique intégrée pour traiter les problèmes d'endettement croissants des citoyens. Alors que les commissions de surendettement traitaient 90 000 dossiers par an en 1990, elles doivent aujourd'hui s'occuper de 220 000 dossiers par an, ce qui représente un coût total de 195 millions d'euros (254 millions de dollars) de services pour la Banque de France. Dans un système où le marché a ses propres règles, le nœud du problème reste l'absence d'actions préventives et d'indicateurs pour évaluer les créances douteuses. Bien que ce problème d'endettement touche toutes les couches de la population, les quelques associations caritatives qui apportent une aide financière ne s'adressent qu'aux populations les plus démunies. Le surendettement est un phénomène social qui transcende les âges et les classes sociales, et nécessite une solution qui reflète cette réalité. En effet, 45 % des personnes surendettées sont salariées et considérées comme appartenant à la classe moyenne.

Bien que les individus soient responsables en dernier ressort de la gestion de leurs revenus et de leurs dépenses, les banques et les sociétés financières créent des problèmes fondamentaux avec les produits qu'elles proposent aux consommateurs et leur opposition aux « rapports de crédit ». Si les Etats-Unis ont souffert des subprimes, le produit financier le plus critiqué en France et en Europe est le crédit revolving. Cette vache à lait des sociétés financières génère un taux de marge bénéficiaire allant jusqu'à 40 % avec un taux d'intérêt de 25 % pour les débiteurs. D'autre part, le rapport Athling met en évidence des stratégies publicitaires ambiguës qui promeuvent l'accessibilité et le faible niveau des mensualités des crédits revolving. Le recouvrement de créances est également au cœur de pratiques controversées, incluant des rappels aux employeurs des débiteurs, des offres de crédit à des clients insolvables, et le recours à la violence. Une nouvelle législation adoptée en juin 2010 impose un taux d'intérêt maximum pour les crédits renouvelables, et constitue donc un premier pas pour limiter les dommages. Les sociétés financières doivent maintenant réinventer leurs modèles d'affaires pour fidéliser leurs clients et développer une image plus socialement responsable.

La stratégie

Jean-Louis a enrichi la mission originelle de Cresus en mettant en place une large gamme d'outils pour aider les personnes à trouver des solutions durables à leurs crises financières. Chaque année, un réseau de 600 bénévoles compétents, dont d'anciens avocats, juristes ou banquiers, réalise environ 55 000 suivis personnels. Ces suivis vont du diagnostic global (situation personnelle, professionnelle et financière) à l'équilibre budgétaire (surendettement, optimisation des charges et renégociation des dettes), à l'accès au microcrédit, en passant par l'accompagnement social et psychologique. Les résultats de ce volet éducatif de sa stratégie sont significatifs, puisque tous les participants sont formés et apprennent à gérer leur budget.

En raison de l'augmentation de la demande, Jean-Louis a également élaboré de nouvelles stratégies pour renforcer la capacité de son organisation : Il poursuit l'extension géographique de ses activités par le biais d'une Fédération nationale qui compte déjà 19 associations régionales et 117 bureaux d'accueil ; il a développé des consultations en ligne pour multiplier le nombre de personnes qui peuvent accéder à l'expertise de Cresus (157 000 en 2010), et il a lancé une webradio pour fournir des informations et des conseils à 250 000 ménages surendettés.

Pour renforcer la prévention et la détection précoce des créances douteuses, Jean-Louis propose également des formations et des ateliers. Tout d'abord, il cherche à augmenter le nombre d'acteurs capables de prévenir les problèmes financiers et d'apporter un soutien. Pour ce faire, il transmet le savoir-faire et l'expertise de Cresus aux travailleurs sociaux, aux bailleurs sociaux et aux employés des banques sur la législation, les droits des consommateurs, ainsi que sur la manière de détecter le risque de surendettement ou de gérer le recouvrement des dettes. Ensuite, Jean-Louis sensibilise les populations à risque à la gestion de leur budget et de leurs dettes. Il met en place des partenariats intelligents avec des organisations dont les clients/bénéficiaires ont des difficultés à payer leurs factures (par exemple, les bailleurs sociaux et les fournisseurs d'énergie), n'utilisent pas correctement les prestations sociales (par exemple, les groupes mutualistes) ou ont besoin d'une aide financière pour prendre un nouveau départ dans la vie (par exemple, les entreprises de réinsertion sociale). Enfin, Jean-Louis fournit des informations et des conseils aux personnes susceptibles de rencontrer des difficultés financières dans les mois à venir, comme les jeunes qui terminent leurs études et sont sur le point d'obtenir leurs premiers revenus, ou les personnes âgées qui disposent d'une petite pension et qui sont souvent la proie de vendeurs de crédit trop empressés. Rien qu'en 2009, plus de 13 500 heures de formation et d'information ont été partagées avec ces groupes, générant un impact social important ainsi que des revenus pour Cresus.

Plus récemment, Jean-Louis a réussi à créer un modèle qui engage les banques et les sociétés de financement dans la prévention du surendettement. En 2009, grâce à des liens étroits avec l'Association française des sociétés financières, il a eu l'occasion de présenter son concept devant toutes les principales banques et a réussi à en convaincre une de co-construire la première plateforme expérimentale sur la prévention du surendettement. Lancé en septembre 2010, le pilote a rapidement influencé le secteur et sept partenaires font aujourd'hui partie de l'initiative. Cette plateforme permet aux banques et à Cresus de travailler ensemble sur la prévention du surendettement. Par le biais d'un site extranet, elles assurent toutes deux le suivi des clients en difficulté : Les banques ont la responsabilité de détecter très tôt les clients en difficulté financière et d'envoyer leur dossier sur la plateforme dès les premiers « symptômes » (par exemple, un refus de prélèvement ou un découvert excessif). Sous couvert de confidentialité, une équipe de projet de Cresus diagnostique alors les problèmes personnels et financiers, gèle les dettes en cours afin que la situation ne s'aggrave pas, et travaille à la restructuration de la dette. Le rôle de Cresus a été particulièrement efficace : 80 % des principales sociétés financières ont accepté d'être partenaires, et donc d'étaler le paiement des dettes dans le temps et de modifier la nature du crédit.

La première évaluation montre l'impact de cette initiative unique avec les banques : Sur plus de 300 ménages ayant participé au projet pilote, plus de 70 % sont sur la bonne voie pour parvenir à une situation financière stable et équilibrée ; 42 % ont modifié leurs contrats pour équilibrer leur budget, et 100 % de ceux qui avaient besoin d'un réaménagement de leurs dettes par les créanciers l'ont obtenu. Pour le premier partenaire, la Banque postale, l'initiative a permis de recouvrer 400 000 euros (521 260 dollars) d'arriérés de paiement. En 2011, huit nouveaux partenaires ont rejoint la plateforme et Jean-Louis espère soutenir 100 000 personnes en 2012. En tant qu'initiative unique au monde, et même si des bureaux de crédit existent ailleurs, le surendettement doit être évité et Jean-Louis a l'ambition de répandre son modèle en Europe.

L'évaluation a également montré que 72 % des personnes gérées par la plateforme sont des multi-détenteurs de crédits. Ce fait renforce l'idée de Jean-Louis selon laquelle un registre national des dettes doit être créé pour permettre aux banques et aux sociétés de financement de vérifier si une personne a des crédits en cours avant de lui en accorder d'autres. En participant activement à la commission chargée de soumettre la loi en question, Jean-Louis espère que les banques partenaires finiront par soutenir le projet. Malheureusement, lors du vote du Parlement en juillet 2011, la loi a été adoptée, mais elle ne s'applique pas et Jean-Louis continue à faire pression.

La personne

Jean-Louis a été confronté à la pauvreté et à l'exclusion sociale à travers de nombreuses expériences au cours de sa vie. Malgré d'excellents résultats scolaires, il a commencé à travailler à l'âge de 14 ans pour subvenir aux besoins de sa famille. Jean-Louis a suivi un apprentissage de comptabilité avant d'intégrer l'entreprise Daimler, ce qui lui a permis de se former à la communication d'entreprise et institutionnelle. Quelques années plus tard, soucieux de faire ses propres choix, il reprend ses études, choisit le droit et entame une carrière de juriste auprès d'entreprises privées. En 1980, l'entreprise de Jean-Louis lui propose de travailler à l'étranger en tant qu'expatrié. Il accepte et passe quinze ans en Afrique de l'Ouest avec son épouse. De retour en France en 1998, il reprend ses études de droit et se spécialise en droit de la consommation. En 2000, Jean-Louis occupe un poste au bureau du médiateur de la République française à Strasbourg. Ce travail lui a ouvert les yeux sur la vie quotidienne des citoyens, et c'est ainsi qu'il a été confronté pour la première fois à la question du surendettement.

Comme Jean-Louis n'avait pas d'expertise approfondie sur la dette des citoyens, il a commencé à travailler bénévolement pour une association locale, Cresus, fondée en 1993. Il a progressivement développé sa propre expertise sur le sujet jusqu'en 2004, date à laquelle il a pris la tête de l'association et lui a apporté une nouvelle approche et une nouvelle orientation. Jean-Louis souhaite en effet aider les gens à trouver des solutions pour sortir du surendettement. Il a décidé de travailler à temps plein pour l'association et d'orienter les pratiques de l'organisation vers un modèle innovant de prévention.

Déterminé à toucher le plus grand nombre, Jean-Louis conduit également l'expansion géographique de Cresus. Il crée la Fédération Cresus et facilite l'émergence de dix-neuf associations régionales. Les associations locales partagent sa vision et il est élu président de la Fédération nationale. En outre, il devient directeur général de l'association de Strasbourg et la transforme en laboratoire expérimental pour concevoir et lancer de nouveaux types de soutien, des formations préventives, des programmes de microcrédit et une webradio. Jean-Louis a également facilité l'établissement de liens étroits avec les banques et les sociétés financières.