Pierre Foldès
Ashoka Fellow depuis 2015   |   France

Pierre Foldès

Institut en Santé Génésique
Le Dr Pierre Foldes développe une approche holistique sans précédent dans un centre unique, gratuit et accessible, afin de résoudre efficacement les problèmes auxquels ces femmes sont confrontées -…
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IDÉE

En France, environ 600 000 femmes sont victimes de violences et seules 16% portent plainte. Les solutions existantes ne permettent pas de sortir une femme victime de violence de sa situation rapidement et sans pénibilité psychologique. Le coût pour la société des violences est de 4,5 milliards d’euros par an. Afin d’aider ces femmes, le Docteur Pierre Foldès a cofondé avec Frédérique Martz un centre anonyme et accessible. L’ISG, devenu Women Safe en 2017, propose aux victimes une prise en charge globale, commençant toujours par une écoute bienveillante, puis une approche multidisciplinaire (Médicale, psychologique, judiciaire et sociale) jusqu’à être totalement hors de danger. L’objectif : créer un véritable écosystème de coopération entre tous les acteurs d’un territoire pour construire et promouvoir des protocoles complets de détection et de soutien.

 

IMPACT

Ce premier Institut rassemble une vingtaine de professionnels (médecins, infirmières, psychologues, juristes) et s’appuie sur un réseau de référencement et de détection, et un maillage territorial de partenaires libéraux et institutionnels. Des sites secondaires sont en voie d’identification pour un projet d’essaimage national et international. En 2016, Women Safe s’est vu confier le dossier du harcèlement sexuel au sein des Universités. Women Safe prend en charge et accueille les enfants victimes collatérales des situations de violence

 

QUI EST-IL ? 

Le Dr Pierre Foldès est chirurgien urologue – inventeur de la technique de réparation chirurgicale des mutilations sexuelles féminines – et a participé à la création de Médecins du Monde. Frédérique Martz, cheffe d’entreprise, est une femme engagée dans l’associatif. Ils ont imaginé un dispositif pérenne de prise en charge holistique et globale des violences faites aux femmes. Fin 2017, l’Institut en Santé Génésique est devenu Women Safe, sa nouvelle marque. 

This description of Pierre Foldès's work was prepared when Pierre Foldès was elected to the Ashoka Fellowship in 2015.

Introduction

Le Dr Pierre Foldes développe une approche holistique sans précédent dans un centre unique, gratuit et accessible, afin de résoudre efficacement les problèmes auxquels ces femmes sont confrontées - médicaux, psychologiques, juridiques et sociaux - lorsqu'elles sont prêtes à rompre le cycle de la violence domestique. Sa solution est conçue comme un écosystème de coopération entre les acteurs (médecins, police, justice, petits commerces) pour concevoir et mettre à l'échelle de nouvelles façons de détecter et d'accompagner ces femmes jusqu'à ce qu'elles soient totalement hors de danger.

L'idée nouvelle

Afin de pallier les lacunes des approches existantes et de briser la spirale de la violence domestique à la maison, Pierre a construit un modèle qui aborde l'ensemble des problèmes auxquels les femmes victimes de violence sont souvent confrontées lorsqu'elles tentent de rompre le cycle de l'abus. En réunissant en un même lieu un large éventail de professionnels - médecins, psychologues, juristes, travailleurs sociaux et infirmières - il crée un nouveau cadre de coopération pour élaborer des protocoles multidisciplinaires et mettre rapidement les victimes hors de danger. En évitant soigneusement la stigmatisation et les ruptures dans le processus d'accompagnement, Pierre parvient à sortir définitivement une femme du cercle de la violence en moins de neuf mois, alors que la plupart y sont enfermées pendant des décennies.

Outre l'Institut, Pierre se concentre sur la prévention et la détection précoce de la violence domestique par le biais d'un réseau de professionnels impliqués dans la vie des femmes, des médecins aux pharmaciens en passant par les commerçants locaux. Sachant qu'il est extrêmement difficile de parler des violences domestiques et de les dénoncer - en moyenne, une victime parle après dix ans d'abus - il les forme à la détection des premiers signes de violence, à la création d'opportunités pour les victimes de parler le plus tôt possible et à les recommander à l'Institut avant que la situation ne devienne trop grave.

Pierre envisage une transformation profonde de la perception et du traitement de la violence domestique à l'égard des femmes par la société. À cette fin, Pierre travaille à la reproduction des centres pluridisciplinaires en France. Parallèlement, il cherche à influencer les principales parties prenantes sur sa méthodologie. Par le biais d'un « plaidoyer pratique », il démontre l'efficacité de l'engagement des institutions (principalement les services de justice et de police) avec les cabinets privés (avocats, médecins et autres professionnels) et les organisations de citoyens pour mettre en place de nouveaux protocoles et agir plus efficacement pour les victimes.

Le problème

En France, environ 600 000 femmes de 18 à 75 ans (5,5% de cette tranche d'âge) sont victimes de violences, qu'elles soient psychologiques, physiques ou sexuelles. On estime que les victimes perdent ainsi 4 à 5 ans d'espérance de vie. Il existe un écart très important entre la réalité de la violence à l'égard des femmes et les stratégies pour y mettre fin. Être victime de violence est encore un tabou et une honte, et il est très difficile pour les femmes d'en parler. En France, on estime que seulement 16% des femmes victimes de violences portent plainte. Souvent, lorsqu'elles le font, c'est plusieurs années après, par peur des représailles ou des conséquences sur la cellule familiale. Dans la majorité des cas, les actions visant à mettre fin à la violence au sein du foyer sont avortées suite à des pressions de la part des proches, ou directement de la part de l'auteur de la violence.

Au-delà du coût humain, ces violences ont un coût économique important pour la société française, estimé à 1,1 milliard d'euros par an (lié aux coûts des soins, des procédures judiciaires, des pertes de production dues à l'absentéisme et aux décès, à l'emprisonnement, etc.

La violence à l'égard des femmes touche également tous les types de catégories socioprofessionnelles à travers le pays - des femmes très pauvres aux classes privilégiées. Il est donc particulièrement difficile de cibler une population et de développer des actions spécifiques autour de ce groupe de population. Les organisations existantes qui travaillent sur ce sujet apportent des solutions le plus souvent fragmentaires, souvent purement sociales ou médicales, et les bénéficiaires craignent la stigmatisation associée à ces services. Pour être aidée, une femme doit répéter péniblement son histoire.

En termes de détection et de prise en charge, les professionnels qui peuvent être en contact avec les victimes - avocats, médecins, pharmaciens, psychologues - ne sont pas formés à la détection des violences ou, lorsqu'ils en perçoivent les signes, ils n'osent pas aborder le sujet ou ne savent pas comment en parler. Certains d'entre eux pourraient être sollicités par les victimes mais le prix de la consultation peut être prohibitif pour les femmes qui en ont besoin. Enfin, le temps judiciaire n'est pas organisé pour sortir rapidement les femmes de la détresse et du danger. Le délai entre le dépôt d'une plainte et le procès dépasse régulièrement 18 mois, pendant lesquels les femmes sont en réel danger, avec des risques de représailles. C'est un obstacle majeur pour franchir le premier pas de la dénonciation et entamer un processus de prise en charge.

La stratégie

Pierre a lancé l'Institut ISG en janvier 2014 près de Paris comme le premier centre multidisciplinaire pour les femmes victimes de violence. Son objectif est d'agir rapidement et discrètement pour éviter que les situations ne dégénèrent. Les femmes sont reçues gratuitement et sans poser de questions et le centre est un guichet unique pour tout le soutien dont elles ont besoin pour prendre en charge tous les aspects de la situation de violence à laquelle elles sont confrontées. Il s'agit d'un soutien juridique (pour déposer une plainte par exemple), de consultations médicales et psychologiques, et d'un soutien social pour trouver des solutions en matière de logement, de téléphone, etc. Pierre a choisi d'intégrer le centre au sein d'un hôpital public (l'hôpital de Poissy-St Germain en Laye), à proximité de l'entrée, afin d'éviter toute stigmatisation. Cette option garantit l'anonymat complet des femmes et préserve la confidentialité de la raison de leur présence.

Dans un premier temps, Pierre a développé des outils innovants pour permettre aux femmes de s'exprimer confortablement, avec des infirmières spécifiquement formées à l'accueil de l'Institut, et des groupes de parole où les femmes peuvent s'exprimer dans un environnement sécurisé, empathique et bienveillant. Il n'est pas nécessaire de répéter leur histoire, toutes les informations sont partagées par l'équipe des différents professionnels qui sont engagés pour résoudre la situation des femmes. En effet, pour assurer le service de l'Institut, Pierre a mobilisé 150 bénévoles, dont 26 permanents, représentant diverses professions. Pour Pierre, la collaboration et le décloisonnement des soins sont des facteurs clés de succès. Chaque cas est discuté par une équipe pluridisciplinaire qui met en place un protocole adapté à chaque situation et définit les bons soins et les priorités. Avec l'accord des femmes, le secret médical n'est pas une règle en interne à l'Institut, afin de mieux partager les informations entre les équipes engagées autour d'une victime et d'optimiser la prise en charge.

Pour éviter les ruptures fréquentes dans la prise en charge des victimes, l'Institut propose également des solutions originales d'hébergement. Pierre a noué des relations privilégiées avec des partenaires communautaires locaux pour trouver des solutions de logement, et propose même des prêts de téléphone permettant aux femmes de toujours rester en contact avec le centre en toute discrétion. Pour étendre le soutien à l'extérieur de l'Institut en cas de besoin, des tarifs spécifiques sont négociés avec des professionnels. Un réseau de 100 psychologues, qui prennent normalement 70€ par consultation, reçoivent les femmes venant de l'Institut ISG pour 30€, et seulement 2€ pour celles en situation précaire.

Afin d'augmenter son impact, Pierre agit également sur la prévention et cherche à intervenir au plus près des bénéficiaires potentiels, en mobilisant un réseau de bénévoles chargés de la détection sur l'ensemble du territoire des Yvelines. Ce réseau, initié trois ans avant la création de l'Institut, s'appuie sur près de 2500 correspondants locaux dans les domaines de la santé, de la justice, de l'éducation nationale mais aussi de simples commerçants et d'associations citoyennes) en contact quotidien avec les femmes. Depuis quatre ans, Pierre les forme à l'identification des risques et à la manière de « poser la question ». Il leur propose également différents guides pratiques et boîtes à outils pour les aider à identifier les signes socio-sanitaires, et a mis en place une hotline spécifique aux bénévoles pour répondre aux questions et leur permettre d'alerter l'Institut en cas de besoin.

La construction d'un réseau de détection a permis à Pierre de rencontrer tous les acteurs de la problématique et d'identifier les lacunes et les dysfonctionnements du système existant. Ses observations l'ont amené à aller au-delà du soutien direct et à développer des actions de « plaidoyer pratique » pour impacter l'écosystème de la prise en charge des victimes de violences au-delà des murs de l'Institut. Ainsi, il définit régulièrement de nouveaux protocoles de coopération avec des institutions et des associations locales. Par exemple, il a travaillé directement avec le palais de justice de Versailles sur un protocole où lui et son équipe sont assermentés pour déclarer un cas de violence directement auprès du procureur afin d'accélérer le processus avec la justice. Il a également développé des liens avec l'Ordre des avocats et les services de police pour faciliter l'accès à des représentants spécifiquement sensibilisés à la prise en charge des situations de violence. En travaillant en étroite collaboration avec un réseau d'associations spécialisées, Pierre est en mesure de trouver des solutions de logement pour les femmes qui en ont besoin en quelques heures. Enfin, il a passé un accord avec des institutions administratives (comme la préfecture des Yvelines) pour régulariser temporairement les femmes immigrées sans papiers afin d'assurer leur présence sur le territoire pendant le processus d'accompagnement de l'Institut.

Afin de répondre à la demande exponentielle des femmes pour accéder aux services de l'Institut, Pierre a commencé à travailler sur le développement national de son idée, tout en renforçant le modèle économique à travers de nouveaux partenariats nationaux publics et privés et des expérimentations de génération de revenus (par exemple, en sensibilisant les entreprises). Sa stratégie de développement est basée sur le soutien aux initiatives locales pour ouvrir de nouveaux instituts EIG et les guider dans le maintien des pratiques qu'il a développées pour ce modèle. Compte tenu de l'ampleur des violences conjugales/sexuelles sur le territoire français, Pierre a priorisé huit villes (Toulouse, Marseille, Nantes, Rouen, Lille, Lyon, Chambéry, Grenoble). Pierre s'appuie sur les chefs de projet locaux pour gérer le processus de réplication. Pour accompagner cette croissance organique, Pierre envisage également de développer une stratégie d'influence au niveau national, basée sur des protocoles de coopération avec des institutions déjà déployées dans la zone pilote (préfecture, sous-préfecture, palais de justice) qui ont démontré leur impact. Dans son projet pilote, Pierre a travaillé avec les acteurs les plus importants de Paris, ce qui facilite la mise en place de nouveaux protocoles de coopération dans tout le pays. Enfin, Pierre explore des opportunités à l'international, avec des études de marché en Côte d'Ivoire, en RDC, au Mali et au Sénégal, avec un angle de prise en charge plus ciblé sur les mutilations génitales féminines.

La personne

Le Dr Pierre Foldes a connu une trajectoire exceptionnelle, presque exclusivement axée sur les populations vulnérables. Dès le départ, son rêve a été de s'occuper des personnes dont personne ne veut s'occuper, dans des zones où personne ne veut aller. Cela l'a amené à vivre une expérience extraordinaire en tant que jeune médecin, en se portant volontaire auprès de Mère Teresa. Travailler avec elle dans les hospices de Calcutta dans les années 90 a définitivement ancré sa vocation à s'occuper des femmes et des plus pauvres. C'est lui qui a convaincu la religieuse qu'il était possible de guérir certaines de ces personnes et de les sauver d'une mort quasi certaine. Il y reste trois ans et apprend à travailler avec très peu de moyens et à ne pas accepter l'inéluctable.

Pierre a soutenu la création de l'ONG internationale « Médecins du Monde » aux côtés de personnalités telles que Bernard Kouchner. Il est mondialement reconnu comme le chirurgien urologue qui a inventé la technique de réparation chirurgicale pour les femmes victimes d'excision. Pionnier visionnaire, il a développé cette technique dans le but de la rendre aussi transférable que possible aux médecins locaux, notamment en Afrique, qui travaillent dans des conditions difficiles avec des ressources limitées. Sa chirurgie est donc réalisable en ambulatoire avec une anesthésie locale, peu de matériel et à faible coût. Pierre a toujours été très actif dans la transmission de son savoir-faire et aujourd'hui encore, à travers des formations et des conférences, il continue à partager ce qu'il sait pour étendre son impact de manière exponentielle. En France, il a réussi à obtenir que la Sécurité sociale rembourse l'opération de réparation des mutilations génitales.

Consacrant sa carrière et sa vie à des causes sociales, il a reçu les insignes de Chevalier de la Légion d'honneur en 2006. Il est également devenu un entrepreneur, qui a l'habitude de se développer professionnellement dans des environnements difficiles, au contact des groupes les plus vulnérables. Dans ces situations, il n'a jamais accepté l'inévitable et a trouvé des moyens ingénieux pour déployer et essaimer des solutions à grande échelle. Son charisme, son empathie et son altruisme sont autant d'atouts pour convaincre et faire bouger les lignes à tous les niveaux de la société, y compris dans les institutions publiques.

Au tournant des années 2000, après des décennies passées à opérer et à former des chirurgiens dans le monde entier, Pierre a pris conscience de la nécessité d'agir en amont auprès des femmes victimes de violences, et de réparer l'ensemble du système de soins. Le déclic s'est fait lors de ses consultations chirurgicales. D'abord purement médicaux, ces moments sont progressivement devenus des occasions pour les femmes de parler de l'origine des violences, qui dépassent souvent les mutilations génitales féminines. Constatant que les solutions existantes n'étaient pas adaptées pour permettre aux femmes de parler de leur situation, il imagine et construit un système d'alerte précoce pour signaler les victimes de violences, puis s'emploie à convaincre les institutions de mettre en place un système beaucoup plus efficace dans la prise en charge des femmes. Enfin, il imagine l'Institut, en gardant à l'esprit que si les soins médicaux sont cruciaux, il est nécessaire d'étendre les soins à d'autres questions. Son parcours international sur le terrain, notamment en Afrique et en Asie, lui donne une parfaite connaissance des violences faites aux femmes dans ces pays, et lui permet d'envisager le développement international de son modèle dans les années à venir.