Philippe de Roux
Ashoka Fellow depuis 2015   |   France

Philippe de Roux

Eau et Vie
Dans les bidonvilles qui se multiplient à travers le monde, l'accès à l'eau potable est un défi permanent. Par l'intermédiaire de son organisation Eau &amp ; Vie, Philippe de Roux…
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IDÉE

50 % de la population mondiale est urbaine en 2015, 75% en 2050 : 40% de cette croissance se fera dans les bidonvilles, perçus comme une nuisance par les autorités publiques et dont les habitants sont considérés comme non solvables. En parallèle, les solutions d’accès à l’eau sont insatisfaisantes (coût élevé, contamination, manque d’assainissement, violences et conflits d’intérêt). Eau et Vie, co-fondée par Philippe de Roux, permet l’accès à l’eau potable bon marché et à domicile aux habitants des bidonvilles en impliquant les pouvoirs publics pour obtenir des concessions spécifiques, et en négociant avec les opérateurs un raccordement sur leur réseau primaire pour la distribuer dans les “maisons” en investissant dans un réseau au design innovant. Il met en place un système de micro-paiements réguliers à domicile adapté aux modes de vie des habitants ainsi qu’un système participatif de développement du projet (formation et responsabilisation de techniciens, de collecteurs, d’agents d’entretien) et des services complémentaires (éducation à l’hygiène, traitements des déchets, assainissement et formation à la lutte anti-incendie) permettant une approche globale.

 

IMPACT

Eau & Vie développe des projets dans 3 grandes villes aux Philippines, 2 au Bangladesh, 1 en Côte d’Ivoire et démarre un projet en Bulgarie : 90% des ménages ont l’eau courante et le taux de paiement est de 95%. Les pertes d’eau ont diminué de 80% à 10% et le modèle économique est viable. En 2018, 30 000 personnes bénéficient d’un accès à l’eau et aux services complémentaires.

 

QUI EST-IL ?

Philippe a vécu 3 ans aux Philippines où il dirigeait une organisation de micro-crédit pour les habitants des bidonvilles urbains. Il a développé en France une entreprise de plomberie avec un volet de réinsertion professionnelle.

This description of Philippe de Roux's work was prepared when Philippe de Roux was elected to the Ashoka Fellowship in 2015.

Introduction

Dans les bidonvilles qui se multiplient à travers le monde, l'accès à l'eau potable est un défi permanent. Par l'intermédiaire de son organisation Eau &amp ; Vie, Philippe de Roux utilise l'accès à l'eau potable comme point d'entrée pour changer les perceptions négatives concernant les bidonvilles et pour les transformer en communautés dynamiques. Il démontre aux autorités publiques et aux grands opérateurs du secteur de l'eau qu'un investissement dans les infrastructures d'eau, d'assainissement et d'hygiène peut constituer une solution à long terme à l'extension des bidonvilles et créer des retours économiques viables.

L'idée nouvelle

Sans connexion à un approvisionnement continu en eau propre, les communautés vivant dans les bidonvilles courent un risque plus élevé de contracter des maladies d'origine hydrique et sont confrontées à de nombreux défis liés à l'assainissement, à la gestion des déchets et à la sécurité. Philippe fait évoluer les réglementations et les normes relatives à l'approvisionnement en eau potable des bidonvilles. Plutôt que de créer un système alternatif de collecte, de traitement et de distribution de l'eau dans les bidonvilles, Philippe a conçu un mécanisme basé sur le marché pour connecter certaines des communautés urbaines les plus pauvres et les plus densément peuplées du monde à l'approvisionnement en eau normal. Ce faisant, il améliore la santé et l'accès à l'eau et réduit les coûts pour les communautés, tout en ouvrant une base de consommateurs entièrement nouvelle pour les grands fournisseurs d'eau.

Philippe a obtenu des concessions de dix ans de la part des autorités chargées de l'approvisionnement en eau pour développer son système de distribution d'eau très efficace dans les bidonvilles. Grâce à un financement hybride (soutenu par un investissement initial), il achète de l'eau en gros auprès des opérateurs locaux, puis raccorde l'infrastructure de canalisation traditionnelle directement aux foyers des bidonvilles. Un système de compteur sophistiqué permet à Philippe de suivre la consommation d'eau et de gérer un système de micro-paiement de maison en maison. Son modèle a permis de réduire les pertes d'eau dans les bidonvilles de 80 % à 10 %, contribuant ainsi à une solution gagnant-gagnant pour tous les acteurs concernés - les opérateurs de distribution d'eau, les autorités locales et les bidonvilles.

Philippe a beaucoup réfléchi à la manière de repenser le processus traditionnel de gestion de l'eau et de collecte des paiements afin d'abaisser la barrière à l'entrée pour les communautés vivant dans des bidonvilles. Il développe ainsi les processus et l'infrastructure nécessaires pour faire fonctionner le système d'eau - ainsi que les services associés tels que la facturation et l'entretien quotidiens - directement dans le bidonville et géré par les membres de la communauté. Dans les communautés où Eau et Vie travaille, 85 % des ménages sont raccordés au réseau d'eau principal (alors qu'ils n'y avaient pratiquement pas accès) et les taux de recouvrement des paiements atteignent 93 à 95 % parmi les ménages participants.

Philippe envisage un avenir où le raccordement des bidonvilles au réseau principal d'approvisionnement en eau d'une ville sera une seconde nature, car il s'agit d'un avantage à la fois social et économique pour la société. Travaillant déjà dans trois grandes villes de deux pays (les Philippines et le Bangladesh) et s'étendant à une troisième (la Côte d'Ivoire), Philippe est prêt à étendre son modèle à l'échelle mondiale.

Le problème

Notre monde connaît une énorme vague de croissance urbaine. Selon le Fonds des Nations unies pour la population, plus de la moitié de la population mondiale vit aujourd'hui dans des villes et, d'ici 2030, ce nombre passera à environ 5 milliards ; 40 % de cette croissance se fera dans des bidonvilles.

Les bidonvilles en expansion sont souvent perçus par les autorités publiques comme une nuisance majeure au développement social et économique et à la vitalité des villes ; à ce titre, les communautés des bidonvilles sont souvent ignorées, déplacées ou carrément détruites (et les résidents sont contraints de se réinstaller ailleurs).

Les principaux prestataires de services qui desservent les villes, tels que les opérateurs de distribution d'eau, ne considèrent pas les bidonvilles comme des clients viables, partant du principe que les ménages ne peuvent pas payer pour les services d'eau ou que le coût du raccordement est trop élevé. Les communautés des bidonvilles sont donc exclues de l'accès à l'eau et des autres services connexes - souvent considérés comme acquis - qui coïncident avec l'accès à l'eau, tels que l'assainissement, l'hygiène, la gestion des déchets et la lutte contre les incendies.

Traditionnellement, les solutions d'accès à l'eau dans les bidonvilles comprennent souvent des modèles de gestion communautaire de l'eau qui impliquent l'achat à une fontaine communautaire. Ce modèle présente de nombreux défis en matière d'accès à l'eau potable. Avec une file d'attente se formant dès 5 heures du matin, les querelles et la violence ne sont pas rares. De plus, la gestion du paiement et de la distribution de l'eau, supervisée par les membres les plus puissants de la communauté, peut être corrompue et injuste. De plus, selon l'Organisation mondiale de la santé, les systèmes d'approvisionnement en eau communautaires sont plus souvent associés à des épidémies de maladies d'origine hydrique. L'eau sale entraîne des maladies d'origine hydrique ; elle peut contribuer à 80 % des problèmes sanitaires d'un bidonville. Enfin, l'un des principaux obstacles à l'accès à l'eau est le caractère inabordable de ces systèmes communautaires. En moyenne, l'eau peut représenter 25 % des dépenses d'un ménage dans un bidonville. En raison de pratiques de paiement corrompues, le coût de l'eau dans les bidonvilles peut être en moyenne 3 à 9 fois supérieur à celui des communautés de classe moyenne.

Lorsque les fournisseurs d'eau traditionnels décident de raccorder leurs infrastructures aux bidonvilles, leur système échoue souvent pour diverses raisons. Ils ont tendance à perdre beaucoup d'eau à cause du piratage illégal, des fuites et des compteurs cassés. Les pertes d'eau peuvent atteindre 80 % dans ces zones. De plus, ces opérateurs tentent d'utiliser le même processus de collecte des paiements avec les clients à revenus élevés qu'avec les clients à faibles revenus ; les opérateurs apprennent rapidement que leurs politiques et processus standard ne sont pas adaptés à la réalité de la vie dans les bidonvilles.

La généralisation des modèles de financement hybrides offre la possibilité de mettre en place des solutions gagnant-gagnant pour améliorer l'accès à l'eau des communautés pauvres dans le monde entier. Philippe a tiré parti de la tendance au financement hybride pour développer son modèle d'accès à l'eau, en associant un ensemble varié d'investisseurs et de partenaires à son approche.

La stratégie

Philippe surmonte les difficultés d'accès à l'eau en raccordant directement le réseau d'approvisionnement en eau d'une ville aux ménages des bidonvilles, qui étaient auparavant exclus du réseau de distribution d'eau de la ville. Après avoir obtenu des concessions de la part des autorités locales, Philippe négocie avec les grands opérateurs d'eau un prix pour acheter de l'eau en gros. Il obtient ensuite l'investissement nécessaire pour construire l'infrastructure d'eau d'une ville jusqu'à un bidonville éloigné, en équipant chaque maison d'un compteur d'eau personnel. En tant qu'intermédiaire, Philippe vend cette eau directement aux ménages des bidonvilles d'une manière qui est à la fois abordable et accessible. Le modèle de Philippe lui permet de vendre l'eau à un coût trois fois inférieur à celui que les ménages des bidonvilles payaient à l'origine pour l'eau, en raison de l'efficacité de l'ancien système. Ces micro-paiements sont également suffisants pour permettre à Philippe de récupérer son investissement initial et de couvrir la majorité de ses coûts d'exploitation.

Le modèle de paiement et de maintenance d'Eau et Vie comporte de nombreux éléments innovants qui lui permettent de fonctionner dans le contexte des bidonvilles, où les grands opérateurs du secteur de l'eau ont échoué par le passé. Tout d'abord, les frais de raccordement initiaux d'Eau et Vie sont payés en plusieurs fois plutôt qu'en une seule fois, ce qui constitue un élément essentiel pour réduire les obstacles à la participation des ménages des bidonvilles. De plus, Eau et Vie emploie des membres de la communauté des bidonvilles pour collecter les très petits paiements des ménages sur une base quotidienne plutôt que mensuelle. En cas de non-paiement, Eau et Vie coupe l'approvisionnement en eau en deux jours seulement (contre un à deux mois en moyenne pour un grand opérateur), ce qui réduit le fardeau de la dette à long terme pour les ménages. Une autre innovation réside dans le système de compteurs individuels et groupés conçu par Philippe, qui lui permet de suivre la consommation d'eau au jour le jour, au lieu du suivi mensuel habituel. En créant un système de maintenance et de paiement adapté à la réalité quotidienne des communautés des bidonvilles, l'accès à l'eau est devenu plus abordable et plus accessible. En moyenne, les ménages qui travaillent avec Eau et Vie paient l'eau trois fois moins cher.

Le modèle de Philippe va au-delà de l'amélioration des processus critiques pour faire de l'accès à l'eau une réalité dans les bidonvilles ; il se concentre également sur la mobilisation de la communauté et le changement de comportement. Il met en place l'éducation, la sensibilisation et l'infrastructure nécessaires pour que les communautés des bidonvilles aient accès aux services publics - souvent considérés comme acquis - qui coïncident avec l'eau (propre), tels que l'assainissement, l'hygiène, la gestion des déchets et les services de pompiers. Philippe identifie les meilleures idées éprouvées dans ces domaines et collabore avec des ONG existantes (comme la Croix-Rouge) pour développer leurs activités d'éducation et de formation dans les bidonvilles où il travaille, ou pour reproduire des solutions d'entreprises sociales éprouvées avec le soutien des autorités publiques. Par exemple, Philippe a signé un contrat de trois ans avec la ville de Manille et collabore avec Sanergy (une organisation de David Auerbach, membre d'Ashoka, basée au Kenya) pour reproduire son modèle « Fresh Life Toilet » (toilettes à vie fraîche) pour gérer les déchets humains. En outre, après avoir subi un incendie dévastateur dans le premier bidonville où il a travaillé, Philippe forme maintenant des pompiers volontaires dans les communautés des bidonvilles et installe des bouches d'incendie afin que les incendies puissent être éteints rapidement et efficacement.

Philippe fait évoluer les mentalités à deux niveaux. Tout d'abord, il démontre aux autorités publiques que la meilleure solution est d'investir dans les bidonvilles, plutôt que de les ignorer ou de les reloger purement et simplement. Aux Philippines, Philippe a convaincu les autorités publiques de créer un certificat d'utilité publique afin que d'autres entreprises privées (en plus d'Eau et Vie) puissent également étendre l'accès à l'eau en tant que service public essentiel, aidant ainsi d'autres entrepreneurs à se lancer et à reproduire son modèle. Deuxièmement, Philippe démontre aux opérateurs d'eau traditionnels (tant publics que privés) que les bidonvilles sont en effet des clients viables - tant que le bon système de collecte et de distribution est en place pour garantir l'accessibilité financière et la sensibilisation. Au fil des ans, Philippe a réussi à gagner la confiance et le pouvoir de négociation des grands opérateurs, en les convainquant de participer à un système très éloigné de leurs activités habituelles.

Eau et Vie étant reconnue par les autorités philippines, Philippe est prêt à reproduire sa méthodologie à l'échelle mondiale. Il a déjà commencé à travailler au Bangladesh et lancera bientôt Eau et Vie dans un bidonville de Côte d'Ivoire. La stratégie d'expansion à plus long terme de Philippe consiste à franchiser sa méthodologie au niveau mondial par l'intermédiaire d'un réseau d'entrepreneurs locaux qui l'aideront à introduire Eau et Vie dans 50 nouveaux pays. En fin de compte, Philippe veut changer les mentalités autour de l'eau, en prouvant qu'il est possible de fournir de l'eau aux communautés les plus marginalisées du monde par le biais d'une approche basée sur le marché.

La personne

Philippe, de nationalité française, a vécu pendant trois ans avec sa femme dans un bidonville de Manille, aux Philippines, où il a travaillé avec une organisation locale de microfinance. Il y a fait l'expérience directe des conditions de vie difficiles résultant d'un accès insuffisant à l'eau potable. Il a été particulièrement frappé par le coût élevé de l'eau, les longues files d'attente et les problèmes de piratage qui font de l'accès à l'eau un défi quotidien pour les ménages situés dans les bidonvilles.

Après s'être réinstallé en France avec sa femme et avoir géré un vaste réseau de stations-service, Philippe a finalement racheté à un ami une entreprise de plomberie spécialisée dans la réinsertion professionnelle. Il a fait passer l'entreprise de 6 à 60 employés et l'a étendue à d'autres domaines techniques tels que la maçonnerie et l'électricité. Il a créé ces nouvelles entreprises directement avec ses employés « réinsérés », en leur donnant les moyens de devenir des entrepreneurs et, à terme, des actionnaires.

C'est le mariage de ses expériences en microfinance et en plomberie qui a conduit Philippe à développer Eau et Vie en 2008. Il a créé Eau et Vie comme un modèle hybride : la branche à but lucratif gère la distribution de l'eau et le système de paiement, tandis que la branche à but non lucratif gère toutes les activités liées à l'assainissement, à l'hygiène, à la gestion des déchets et à la lutte contre les incendies. Le conseil d'administration de Philippe a signé un accord selon lequel tous les bénéfices de ses activités lucratives sont investis dans la branche à but non lucratif.